Le Boudoir des Nanas

Ce miroir là.

Dans le film « Sex and the City », il est dit à la fin :

« C’était nous les 3 miroirs que Samantha ne pouvait éviter. »

Tahar Ben Jelloun, dans son magnifique livre « Eloge de l’amitié », écrit:

« L’amitié est une religion sans Dieu ni jugement dernier. Sans diable non plus. Une religion qui n’est pas étrangère à l’amour. Mais un amour où la guerre et la haine sont proscrits, où le silence est possible. Ce pourrait être l’état idéal de l’existence. Un état apaisant. Un lieu nécessaire et rare. Il ne souffre aucune impureté. L’autre, en face, l’être qu’on aime est non seulement un miroir qui réfléchit, c’est aussi l’autre soi-même rêvé. »

Citer « Sex and the City » et Tahar Ben Jelloun dans le même article est une chose que je n’imaginais pas faire un jour.

Mais le centre du sujet est là. L’amitié.

Je ne saurai écrire un long article sur ce sujet. C’est très philosophique.

Très complexe et très simple en même temps.

Avoir des amis est une chose importante. Quoique l’on en dise.

Ceux qui sont toujours là. Dans les bons et les mauvais moments. Ceux avec qui vous partagez de beaux moments. Ceux qui vous font pouffer de rire. Qui vous font sourire. Qui sont là quand vous en avez besoin. Ceux à qui vous ne mentez pas: vous ne pouvez leur cacher grand chose. Ils vous connaissent, vous, vos peurs, vos joies…

Être déçu en amitié est douloureux. Constater un échec est d’autant plus violent que vous aviez  une confiance absolue en elle. Être déçu par une relation « amoureuse » est difficile mais cela se panse. Cela passe. Pas en amitié. Vous en gardez des stigmates indélébiles. Ressentant parfois une colère à l’évocation de cette situation. En amour, l’amertume passe toujours car on remplace un amour par un autre. On ne remplace jamais un ami. Jamais.

Nous avons des amis très proches. Des amis tout court.

Des amis qui sont tous différents. Souvent à l’opposé de vous. Mais que vous aimez et qui sont essentiels à votre vie.

Et puis vous avez des amis « miroirs ». Ceux qui vous renvoient la véritable image de vous. Pas celle que vous galvaudez pour plaire, pour donner l’impression de, pour ne pas parler, pour ne pas dire les choses.

Ces miroirs que vous ne pouvez éviter.

Comme votre amie chez qui vous passez la soirée. Tranquillement.

Un peu comme être assis au soleil sur une plage, buvant un verre avec elle, avec une légère musique, sans vous préoccuper des heures qui passent. Derrière, quelques vieilles cabanes brinquebalantes, qui ont tant vécu et vu.

Vous discutez de tout et de rien. De petites choses et de choses plus importantes.

Les sujets s’approfondissent. Vous regardez la mer, fuyant certaines discussions.

Puis tout à coup, face à vous, ce ne sont plus 2 yeux mais un miroir.

La mer s’agite. L’horizon s’obscurcit. Les portes des cabanes claquent.

Vous cherchez à éviter ce miroir. Changeant de conversation.

Mais non. Il est là. Il vous toise.

Vous reculez.

La mer gronde. Le ciel est sombre. Le vent se lève. Les cabanes grincent.

Vous pensez à fuir. Mais vous ne pouvez pas. Vous êtes incapables de faire un geste.

De ce miroir sortent des images qui vous tétanisent. Qui vous clouent sur cette plage qui devient sombre.

Le vent est violent. Les vagues se déchaînent. Les cabanes craquent.

Deux mains avec une force que vous ne soupçonniez pas, vous attrapent et ne vous laissent aucune chance.

Vous êtes terrorisés. Vous voudriez être ailleurs. Mais vous n’avez pas le choix. Vous n’avez plus le choix.

La tempête arrive. La mer envoie une musique sourde et impressionnante. Les cabanes vont s’écrouler.

Ces mains vous transpercent de partout. Vous déchirent le ventre et fouillent au plus profond de vous dans une douleur indicible.

Non. Vous ne pouvez pas. Ce n’est pas possible. Elles vous touchent là où elles savaient que ce serait douloureux. A des endroits si bien cachés que vous pensiez ne jamais les laisser deviner. A quiconque. Elles arrachent des petits bouts de vous. Elles mettent vos tripes à l’air. Elles compressent un cerveau en ébullition. Elles déchirent un coeur que vous pensiez armé.

La tempête est là. Hurlante et noire. La mer n’est que tumulte. Les cabanes commencent à voler en éclats.

Vous débattre ne sert à rien. Vous êtes ouverte de partout. Vous sentez la violence qui dort en vous, ce côté obscur contre lequel vous luttez chaque jour, qui sort de son insidieuse torpeur. La peur est désormais à vif. Mais les mains ont désormais un allié de force. Un regard qui attend et qui sait.

C’est un ouragan désormais. Les vagues vous submergent. Les cabanes s’écroulent. Et à ce moment précis, vous apportez à ce miroir ce qu’il attendait. Vous l’aidez à sortir toutes ces choses de vous. Vous lâchez prise. Vos propres mains plongent au plus profond de vous pour sortir ces choses obscures. Un déchaînement. Vos blessures, vos peurs, vos rêves avortés, vos douleurs, vos erreurs, vos déceptions, vos colères enfouies. Votre parfois méprisable pudeur. Vos actes manqués. Vos démons. Ceux qui dorment en vous depuis si longtemps. Trop longtemps. C’est un combat à armes inégales. Un affrontement sans nom.

Vous vous laissez emporter par cette tempête. Vous êtes une autre. Libérant des mots noirs. Les hydres qui s’agitaient en vous sont désormais dans vos mains. Dans vos mots. Vous vous acharnez sur elles. Vous les égorgez. Violemment. Leur sang noir coule sur vos mains. Cela vous transporte. Une mise à mort. Vous portez vos doigts à votre bouche pour goûter, pour savourer l’odeur âcre et forte de la vengeance, contre ces choses qui vous répugnent.  Des flots que vous ne pouviez imaginer vous étouffent, vous noient. Des nuées obscures vous enserrent. Vos mains sont remplies de choses dures. De choses vraies. De choses ignobles que vous êtes allés arracher violemment au plus profond de vous. Au cœur même de votre âme. Des bras vous entourent désormais. Une bouée pour affronter ce cyclone intérieur. Pour affronter l’obscurité.

Le temps s’est arrêté. Vous n’êtes plus vivants. Vous ne reviendrez jamais de cela. C’est impossible.

Et puis…

Les vagues s’apaisent. La tempête s’éloigne. Lentement. La bouée se relâche, puis disparaît.

Vous entendez à nouveau votre cœur battre. Votre visage est dans vos mains. Votre ventre est refermé.

La mer redevient calme. Le ciel s’éclaircit. Vous sortez de cet état second. Les vieilles cabanes ont disparu. Quelques débris montrent la violence de ces instants dont vous ne connaissez pas la durée.

Vous regardez ce miroir. Qui n’est plus là. C’est elle qui est à nouveau en face de vous. Son regard exprime clairement qu’elle a vécu cette tempête aussi. Pleinement. Douloureusement. Vous ne l’en aimez que plus. Si tant est que cela soit possible.

Vous respirez à nouveau. Vous sentez un étrange apaisement s’emparer de vous.

Vous êtes à nouveau assises sur cette plage. Tout est calme. La musique est arrêtée. Depuis quand?

« Ça va? » « Ça va. »

Le temps de répondre et une bière glacée est posée devant vous.

Vous la buvez lentement à même le goulot. Sans doute la meilleure que vous n’ayez jamais bue.

Des silences. Des sourires. Peu de mots.

Vous appréciez ces instants à leur juste valeur. Celle, inestimable, de ce que la véritable confiance en l’autre peut apporter.

Vous vous regardez tendrement. Ne sachant comment la remercier. L’amitié ne souffre les remerciements.

Les quelques débris seront effacés avec le temps…

Vous avez envie de vous allonger. Sur cette plage ou ailleurs. Permettre à votre corps d’accéder à ce repos qui lui est interdit depuis un certain temps… Une sorte de douce torpeur vous envahit.

« Tu dors dans le lit d’Elisa? »

Voilà.

Rien à ajouter.

Lila sur sa Terrasse

Je suis moi.

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10 commentaires

  1. Jmemlj@outlook.fr'

    Vous possédez un sacré trésor les filles ! Quelle richesse une amitié pareille !
    Des bises

    1. Lila sur sa Terrasse a dit :

      Oh que oui….Merci ma chère Cécile… Enormes bisous

      1. jme@voila.fr'

        Petite question: le titre est-il un clin d’oeil au titre « ces doux yeux là » d’un article publié il y a 2 ou 3 ans déjà?

        1. Lila sur sa Terrasse a dit :

          Ah non…. 🙂

  2. Carjean57@gmail.com'

    Merveilleuse amitié décrite là
    C est trés fort. Ça fait envie…ce n est pas donné à tout le monde
    Merci de partager cette belle histoire

    1. Lila sur sa Terrasse a dit :

      La plus merveilleuse de toutes, je confirme…. merci… <3

  3. alex.alexandraf@gmail.com'

    Ca fait longtemps que je ne t’avais plus lu et waw, ca prend aux tripes! Heureuse d’etre revenue par ici!

    1. Lila sur sa Terrasse a dit :

      Merci… C’est vrai que cela fait longtemps… Mais moi je te lis hein? 😉 J’espère que tu vas bien. Je t’embrasse et à très vite!

  4. Neuroneseneventail@gmail.com'

    Merci pour ce magnifique récit

    1. Lila sur sa Terrasse a dit :

      Mais de rien… Merci à toi…

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