On est le onze juillet et le nombre de règlements de compte dépasse déjà celui de l’an dernier, soit trente-quatre meurtres. C’est la presse et la police qui les définit comme « règlement de compte », moi, je ne sais pas. J’ai enquêté. Je peux dire que sur les trente-quatre affaires, huit n’ont rien à voir avec le « règlement de compte », huit sont des affaires de pure crapulerie débile, de celles qui existent seulement, car des demeurés sont armés et vont tuer uniquement parce qu’ils ne veulent pas perdre la face, au nom d’une loi de la cité aussi irréelle que leur rapport au monde. Je peux vous en raconter une. Un grand frère, rentrant du boulot, voit son jeune frère traîner avec les dealers. Il l’engueule, se prend la tête avec la bande et le ramène à l’appartement. Un des trafiquants veut lui montrer qui est le patron. Il monte chez lui, sonne, et lui tire une balle dans la cuisse, pensant lui donner une bonne leçon. Il sectionne l’artère fémorale et le grand frère meurt dans les escaliers, se vidant de son sang devant sa mère. Presse et police ne communiquent pas sur ces histoires de merde ou la misère intellectuelle côtoie l’absurde et la démocratisation des armes à feu. Moi-même qui enquête, lorsque je finis par connaître la vérité, la honte me saisit.
Sur les vingt-six affaires restantes, onze relèvent du grand banditisme. Ce sont généralement des seconds couteaux, des lieutenants de parrains ou des parrains en perte de vitesse qui se font buter à leur sortie de prison, sur un parking ou devant leurs villas cossues des quartiers résidentiels. Ces exécutions sont perpétrées par des professionnels. Il suffit d’attendre un an ou deux et on apprend la vérité dans un livre de journaliste ou d’historien du banditisme. Je ne suis pas très concerné par ces histoires.
Reste une quinzaine d’affaires, celles qui m’intéressent. Il s’agit d’exécutions de jeunes trafiquants présumés (ils ne le sont pas toujours). Le plus jeune avait quinze ans. On a retrouvé son corps gisant sous une balançoire. Il avait une balle dans le crâne, je le connaissais, il s’appelait Nazim, on l’appelait Naz.
Je l’ai connu dans un de ces ateliers d’écriture que j’anime dans les cités de la périphérie de la ville. Je suis écrivain, enfin, j’ai écrit quelques trucs qui ont été publiés, diversement appréciés. Une personne de l’action culturelle m’a proposé d’animer un premier atelier d’écriture dans une cité. J’y suis allé avec ma basse et une boite à rythmes. On a essentiellement bossé le quatre temps, la versification la syncope et l’allitération. Ça a bien accroché avec les jeunes, c’est du vrai travail d’écriture, bien plus académique que ce qu’il parait. Il y a trois ou quatre jeunes qui ont persévéré et fini par sortir leur titre sur soundcloud, leur vidéo-clip, ce n’est pas allé plus loin, c’est pas non plus du show-biz. Ce qui m’importe, c’est qu’ils soient fiers de leur truc. L’activité fonctionnant bien, tout aussi bien que le téléphone arabe, je me suis retrouvé à intervenir dans douze des dix-sept cités sensibles de l’agglomération. Ça fonctionne bien et à vrai dire, ça me plaît.
C’est donc à l’occasion d’un de ces ateliers d’écriture que j’ai rencontré Naz. Je me souviens d’un grand gars à la coupe afro et au regard rieur. Il est venu qu’une fois, on avait bien développé, je me rappelle des premiers vers du texte qu’il avait écrit :
« Je marche comme un V, un W un sept, ça dépend du produit que je me mets dans la tête/je marche comme un X, un Y un N, ça dépend du produit que je me mets dans les veines » il avait composé une petite chorégraphie ou il mimait les lettres en déplacement, c’était hilarant, je l’ai jamais revu. J’ai juste appris sa mort deux mois après.
Ce que j’écris, c’est des romans policiers, des polars. Du coup, je connais pas mal de flics, de ceux qu’écrivent des romans policiers. Des retraités, des mis en disponibilités, des toujours actifs, mais qui ont besoin d’un exutoire, certains sont mes amis. Ils me l’ont dit : « Ce Nazim n’avait rien d’un voyou, c’était une petite main du trafic, un occasionnel ». Un de mes amis policiers le connaissait, il l’avait interrogé pour une petite histoire de vol de scooter, il n’en avait rien tiré, le gamin était défoncé et il ne faisait que rire, finalement tout le monde s’était marré. « On ne peut pas enquêter sur ces histoires, personne ne parlera et si tu veux mon avis, personne ne sait rien. Il n’est pas assez intéressant pour que ça fasse des vagues, on va l’oublier, tout le monde l’a déjà oublié. On ne sait qu’une chose, c’est que l’arme qui l’a tué a déjà servi, sur d’autres affaires similaires, des petites mains exécutées. On a un tueur, lui on l’oublie pas. On n’a rien sur lui, pas de témoignages crédibles, on parle d’un type en scooter, c’est tout ». Je n’ai pas réussi à en savoir plus.
Le temps passe. Je lis la presse locale, je lis les blogs de journalistes, je n’apprends rien. Tous les mois, un, deux, trois jeunes sont exécutés avec toujours, dans au moins un des cas, aucune explication. Il y a quelque chose qui me hante là-dedans. Je me suis rendu plusieurs fois sur les lieux des crimes, des endroits laids, des ressacs de bétons tagués par mille signatures aussi illisibles les unes que les autres, des culs de sacs, tes tunnels, des lieux à l’âme damnée. Au départ, je pensais à un travail d’écrivain, le sujet est bon. Des meurtres seraient maquillés en règlement de compte entre trafiquants. On peut imaginer toutes sortes de scénarios possibles : une milice facho, un psychopathe, des paramilitaires, des islamistes tarés, on peut imaginer toutes sortes de trucs, mais en vérité, je n’imagine plus rien, je ne veux pas écrire un roman, je veux juste comprendre et j’ai le pressentiment que je peux comprendre, que la vérité n’est pas loin, je la sens toute proche, je la sens en moi. Je ne sais pas pourquoi, est-ce ma fréquentation quotidienne de ces jeunes ? Est-ce la musique, l’écriture avec eux, la possibilité de créer, la possibilité qu’ils me parlent ? Je l’ignore, je sais seulement que ces disparitions m’obsèdent.
Un soir, tard, c’était au niveau des allées Joseph Lebesgue, du côté du parc, je rentrais d’une répétition, j’avais la tête pleine de Funk quand soudain, un scooter de livreur de Pizza, tous feux éteints, a surgi sur ma droite, j’ai pilé, il a fait un écart et a disparu dans la nuit en zigzaguant.. J’ai failli le tuer, je suis resté là quelques minutes tétanisé, j’ai failli le tuer.
Le soir même, j’écrivais un plan désordonné de roman, l’histoire d’un tueur à gages qui exécutait les dealers débiteurs, il se déplaçait avec un scooter de livraison de pizzas, il était insaisissable. Son nom : Zok. Je tentais autre chose, un homme, bien intégré, un professeur, un informaticien, que sais-je encore, peut-être moi-même, se retrouvait dans la même situation, un scooter surgissait, mais lui, par un geste inexplicable, il ne freinait pas, il faisait même un écart pour bien percuter le scooter, de plein fouet. Puis il rentrait calmement chez lui, sans parvenir à expliquer son geste, sans que cela ne lui pose de problèmes de conscience. Puis, quelques jours plus tard, la réalité le bouleverse. Il comprend qu’il a volontairement tué, mais ne se l’explique pas. Cette interrogation le torture, sa vie perd tout sens. Il va approcher la famille de la victime, essayer de trouver une forme de pardon, il se marginalise, perd pied, s’abandonne à une sorte d’identification au deuil, il parvient finalement à trouver la paix. Puis, il recommence.
— Jo, t’as failli m’écraser hier soir ! tu voulais me tuer ?
Jo, c’est moi, diminutif de Johan, et lui c’est Ange-Dominique Bakayoko, un gamin que j’aime bien, seize ans, un père Corse, en détention pour de longues années, une mère Ivoirienne qui se débrouille comme elle peut. Il vient souvent à l’atelier, il ne produit pas grand-chose, mais il aime être là. Il me l’a dit « j’aime bien venir, c’est cool avec toi, on fait ce qu’on veut ». Ce n’est pas tout à fait exact, l’activité est disciplinée. Lui, il est sage. Il écoute, je lui confie quelquefois le clavier et quelques accords à poser, il fait ça bien, il reste même quelquefois pour m’aider à ranger le matériel. Mais je ne m’y trompe pas, s’il est sage, s’il passe tant de temps avec moi, c’est qu’il est profondément meurtri, je le sens.
— C’était toi sur le scooter ? Tu livres des pizzas ?
— Oui c’était moi, je faisais un tour
— Putain fais attention ! il est à toi le scoot ?
— Non,
— Il est à qui ?
— À personne, à tout le monde
— Tu sais que tu m’as fait peur crétin ?
— Pourquoi ? tu ne craignais rien, c’est moi qui aurais dû avoir peur
— Et t’as pas eu peur ?
— Non, pas eu le temps
— Et bien moi, j’ai eu peur, peur de te tuer, tellement peur que j’ai commencé à me raconter des histoires..
Je lui raconte mes deux scénarios. L’histoire du tueur en scooter à Pizza, le fameux Zok puis l’histoire du type qui accélère pour provoquer l’accident. Je lui raconte, car ce qu’apprécient ces jeunes plus que tout, c’est la sincérité. On travaille beaucoup cette notion, je leur demande d’être sincère dans leur texte et j’essaie de toujours l’être avec eux. Ça les étonne, ça les déstabilise, au final, ça les initie à la chose littéraire. Ange-Dominique m’écoute, j’ai capté son attention, il est dans mon histoire. Il me dit :
— Zok ? C’est bizarre comme nom.
— Bah, ça m’est venu comme ça.
— Comme ça
— Oui
— Mais pourquoi l’autre, le type de l’autre histoire, pourquoi il veut l’accident ?
— Je ne sais pas, une pulsion inconsciente ?
— Inconsciente, ça veut dire quoi ?
— Ça veut dire qu’il ne sait pas pourquoi, quand il voit un jeune comme toi à scooter, il provoque l’accident, il ne l’a pas décidé. Ça n’a duré qu’un quart de seconde.
Ange-Dominique me fixe de ses yeux noirs :
— Donc il l’a tué, mais peut-être il ne voulait pas.
— Voilà, il a obéi à quelque chose de plus fort que lui. C’est pour ça que dans mon histoire, il va chercher à approcher la famille, il va essayer de se fondre dans leur deuil, il cherche des réponses.
— Il cherche le pardon
— Oui, on peut dire ça
— Mais pourquoi ?
— Pour recommencer, parce que c’est un vrai psychopathe. Mais c’est une histoire que j’invente.
Il me fixe toujours :
— Jo ?
— Oui.
— T’es un fou, t’es un vrai fou. Je peux te raconter une histoire.
— Bien sûr.
— C’est un rêve que j’ai fait, ça fait deux ou trois fois que je le fais. Tu ne le raconteras à personne.
— OK, on a dix minutes, avant que les autres arrivent.
— Alors écoute « Je suis dans la cité. Je suis seul, vraiment seul. Ce que je veux dire c’est qu’il n’y a plus personne, la cité est vide, les immeubles sont vides, le centre commercial est vide, il n’y a personne. Je marche, je monte dans les appartements, je vais dans les magasins, je suis seul, je ne suis pas bien. Je marche, je suis angoissé, il y a un peu de vent, des fenêtres claquent, des rideaux bougent, des feuilles tombent, mais il y a personne. C’est le silence, il n’y a pas de musique dans mon rêve, je commence à avoir peur, je ne sais pas depuis combien de temps je marche entre les tours, les escaliers, les caves, les parkings, le jardin, et puis, j’entends une voix, une voix d’enfant qui pleure, au début, je l’entends faiblement, puis de plus en plus fort, je cherche où est ce gamin, je cours, plus je cours, plus les pleurs sont forts, je cours longtemps et je finis par le trouver, à l’ancien passage souterrain, celui qu’on prenait avant pour aller au bus. Il est là l’enfant, il a cinq ou six ans, il hurle au milieu du tunnel, je m’approche pour le consoler, il est plein de merde, putain, je veux le prendre dans mes bras, mais cet enfant, c’est moi et je suis couvert de merde. Cet enfant, il veut me parler, il s’accroche à moi, il veut parler, il me dit :
— Attends, arrête-toi
Je sors fumer une cigarette. Je connais le rêve d’Ange-Dominique. Je le connais, je connais cette histoire, je l’ai lue, pire encore, je connais ce tunnel, il y a un mois, trois jeunes ont été exécutés, à l’endroit même où dans son rêve le gamin se revoit bébé et sale, j’ai déjà lu cette histoire et je sais très bien où, c’est dans les mémoires de Carl Gustav Jung. Le fameux psychanalyste nous dit qu’un de ses patients lui raconte le même rêve, la même histoire dans un contexte différent, un type qui erre dans un endroit désert à la poursuite d’une voix qui pleure, ça m’avait marqué, je me rappelle également la phrase qui suivait, Carl-Gustav Jung disait : « je décidai de l’interner immédiatement ».
Je retourne dans la salle, Ange-Dominique a disparu. J’attends 20 minutes, aucun jeune ne vient, c’est bien la première fois que mon activité ne les intéresse pas. Je ressors fumer. Habituellement, c’est un incessant ballet de scooter, c’est des enfants partout, des vieux sur les bancs, des mères de famille qui s’activent, des clients pour le réseau, mais là, rien, personne. Je commence à m’imaginer dans le rêve d’Ange-Dominique, seul dans la cité quand je vois une berline noire aux vitres fumées arriver à toute allure et freiner brusquement devant moi. Quatre hommes cagoulés en sortent, deux s’approchent, me prennent par le bras :
— Tu viens avec nous
Ils me mettent des menottes et sur la tête, une sorte de sac en papier opaque. Ils roulent une trentaine de minutes. Il y a beaucoup de virages, je ne suis pas sûr qu’on ait quitté la cité. Ils ne parlent pas, un seul téléphone, suite à ma demande, et ordonne à quelqu’un, je ne sais pas qui, de garder mon local jusqu’à leur retour « ce n’est pas la chose dont je m’inquiéterais le plus, à ta place » rajoute-t-il. On arrive je ne sais où. On sort de la voiture et ils m’amènent rapidement dans un intérieur, je crois qu’on est toujours dans la cité, en fait, je n’en sais rien. Ils me font asseoir, m’enlèvent le sac, mais pas les menottes, eux se tiennent debout devant moi, ils gardent leurs cagoules. On est dans une sorte de local technique désaffecté. L’un d’eux me demande :
— C’est toi Zok ?
— Je ne comprends pas la question.
— Je te conseille de comprendre vite. C’est toi Zok ?
— Vous êtes qui ?
— C’est pas la question
— Des flics ?
…
— Des truands ?
— Pour la dernière fois, c’est toi Zok ?
— C’est Ange-Dominique qui vous a raconté ça ? Putain, je lui ai juste raconté une histoire. Zok, c’est un personnage que j’ai inventé, c’est le nom d’un tueur que j’ai inventé, j’ai fait une histoire avec un putain de tueur comme celui qui décime les jeunes d’ici. Merde, je ne sais pas qui vous êtes, je m’en doute un peu, vous savez bien ce que je fais dans votre putain de cité, je leur apprends à s’exprimer, à travailler leur imaginaire, alors Zok, il est imaginaire. De quoi vous me parlez ?
— Un personnage imaginaire ?
— Voilà.
Le gars sort une tablette, pianote quelques secondes et me montre une photo.
— Tu reconnais ?
— Oui, c’est à la cité des myosotis. Le Skate park.
— Tu sais ce qui s’y est passé ?
— Oui, il y a 6 mois, un jeune dealer s’est fait buter. Je fais des recherches là-dessus.
— Tu fais des recherches ?
— Oui, ça m’intéresse
— Tu ne vois rien sur la photo ?
Je regarde, c’est le skate park, rien de particulier, du béton, des graffitis. Le gars fait un agrandissement de la photo :
— Et là ?
— Merde !
IL y a un tag parmi d’autres, une signature à la bombe, trois lettres capitales, loin des calligraphies stylisées des autres signatures. Trois lettres ZOK. Le type me montre d’autres photos de lieux d’exécutions, une dizaine de lieux que je connais, des lieux de bétons constellés de signatures à la bombe et partout, cette signature aux lettres capitales sans fioritures ni ornements ZOK. Le type cagoulé me précise :
— Elle n’existe nulle part ailleurs. On ne la trouve que sur les lieux de meurtres.
— Putain, j’y crois pas.
— Alors d’où ça vient ?
— Mais pourquoi il est allé vous raconter ça ?
— Tu parles d’Ange-Dominique ?
— Oui, il vous a dit quoi ? Que j’étais le tueur ?
— Tu sais qui il est ce gamin ? Tu connais son père ?
— Non
— Nous on le connaît, je vais t’apprendre quelque chose que tu garderas pour toi. Son père, c’est un tueur du milieu, on ne sait pas combien de types il a butés, plusieurs dizaines, il sortira jamais de taule. On veille sur son fils, on lui a promis, nous quatre. Alors ce gamin, quand tu lui racontes ton histoire à la con, il vient nous voir, parce qu’il a peur, parce qu’il ne faut pas lui raconter ce genre d’histoire à lui, pas avec le père qu’il a, et aussi parce qu’il sait qu’on le cherche ce putain de tueur. Qu’est-ce que tu crois ? Que ça nous amuse tous ces morts pour rien ? C’est bon pour personne, ni pour le business, ni pour la police, ni pour la politique. On le cherche l’assassin et tout ce qu’on sait c’est qu’il signe Zok.
— Et vous croyez que c’est moi ?
— On pourrait croire ça, effectivement
Je finis par trouver l’explication. Je leur raconte, moi aussi je suis perturbé par ces assassinats, j’ai traîné sur tous les lieux d’exécution, j’ai dû enregistrer inconsciemment cette signature sur le béton, et je l’ai ressorti dans une histoire, encore une affaire d’inconscient. Rien de plus. De toute façon, ils me connaissent, tout le monde me connaît, je vais dans toutes les cités, j’ai des alibis, je ne sais pas me servir d’une arme, je ne sais même pas me servir d’une moto, je fais de la musique, j’écris, ce n’est pas moi, ça ne peut pas être moi.
Au bout d’un moment, ils me laissent. Ils se barrent en m’ordonnant d’attendre. Quelqu’un viendra. En effet, une dizaine de minutes plus tard, un type à capuche vient me retirer les menottes. Je le connais de vue, nous n’échangeons pas une seule parole.
Dehors la nuit est tombée. Je ne sais pas trop où je suis, une sorte de bâtiment désaffecté au bord de la rocade. Un truc où devaient loger, quand il y en avait, des ouvriers. Je fais quelques pas. Je vois un gamin, en scooter, il s’approche, descend et me donne les clefs. « C’est le scoot d’Ange-Dominique, il est désolé, il t’attend à la cité »
Je monte sur l’engin. Je lui demande si je dois le ramener. Il me répond « non » et s’en va en marchant le long du muret de la rocade. Je démarre et quitte à faible allure la zone d’entrepôts. Dix minutes plus tard, je rejoins les faubourgs de la ville, je dois la traverser pour rejoindre la cité. Je suis fatigué. Je dépasse le quartier du stade et coupe par une cité que je connais. C’est étonnement calme. Je redescends pour prendre l’avenue Mendes-France. Il y a un court instant, un quart de seconde où je reconnais ma voiture sur ma droite, c’est ma voiture et elle me percute, il y a un quart de seconde où ça me parait totalement insolite puis je chute, enfin je suis projeté sur quelques mètres. Je n’ai pas de casque, mais c’est mes épaules qui prennent toute la force de l’impact. Je sens quelque chose comme un tendon, un muscle, je ne sais quoi qui lâche complètement. C’est douloureux, une douleur qui m’engourdit et m’empêche de comprendre ce qu’il se passe. Je vois juste Ange Dominique qui approche. Il tient une arme et me vise. Je ne proteste pas, ça me semble irréel. Il me dit d’une voie pleurante :
— T’as pas écouté la fin de mon histoire. T’as pas écouté… j’aurais voulu te dire ce qu’il me disait dans le rêve… l’enfant qui était moi… si je te l’avais dit… si tu m’avais écouté… il arrêterait peut être de me dire de tuer… il arrêterait..
Puis il tire, et plus rien.