Voilà 4 ans, j’ai perdu une amie, Isabelle.
Quand je l’ai rencontrée, elle venait d’être nommée directrice de mon école. Ma première impression ne fut pas la bonne… Sceptique au début, méfiante à l’égard de cette femme au charisme incroyable et aux remarques et réflexions cassantes, j’ai appris à la connaître.
NOUS avons appris à la connaître, mes deux autres collègues (et amies), et moi.
Au fil des années, une belle amitié toute en pudeur s’est tissée entre nous 4. Une amitié avec des hauts et des bas, avec des heurts, des conflits. Une très belle amitié.
Nous partagions beaucoup de choses. Nous avons eu des fous rires mémorables, des centaines de conversations plus ou moins animées. Nous partagions les mêmes projets au sein de l’école, nous mangions dans le même tupp’ quand une avait oublié d’apporter son repas. Nous échangions sans arrêt livres, films… Nous nous confiions beaucoup: remontons le moral de celle qui en avait besoin, essuyions ses larmes… Un quatuor aussi détonnant que nous étions singulièrement différentes les unes des autres.
Et le sentiment que rien ne pourrait changer cela.
Mais c’était sans compter sur cette saloperie de maladie. Revenue après des années de disparition. Et qui nous l’a enlevée en quelques minuscules semaines. Le temps de réaliser et le coup de fil de son mari. Mes cris. Presque des hurlements. A genoux. Le père de mes enfants qui les emmène à l’étage. L’incapacité à articuler le moindre mot. Ces larmes à trois, enlacées, quand elles m’ont rejoint. Nous étions anéanties.
Et puis…
Le temps passe, cicatrice les blessures… Nos vies ont changé. Nous ne travaillons plus ensemble toutes les 3. Mais nous continuons à nous voir et Isa est là à chaque fois. Si nous en parlions auparavant avec une boule dans la gorge et les yeux embués, les années nous ont apporté cet apaisement, cette sagesse, et nous en parlons désormais en riant aussi de ses défauts, de nos bons moments passés avec elle. Avec une tendresse indescriptible. J’ai une pensée pour elle chaque jour…
La semaine dernière, Vanda me proposa de republier ce texte (paru à l’époque sur mon ancien blog), sur le deuil que l’on aborde différemment, selon qui on est, ce qu’on pense… Je n’ai pas su quoi répondre tout de suite… Elle m’a dit ce qu’elle en pensait… j’ai répondu « Je vais voir… »
Et aujourd’hui, j’ai fouiné dans mes archives… Je l’ai relu… J’ai été émue mais j’ai souri… Oui, elle a raison Vanda. J’ai bien changé depuis. Mais des années après, je me suis encore retrouvée dans ces mots, dans mes maux de l’époque.
Et je le republie ici.
Parce qu’Isa aimait me lire.
Parce que cette souffrance qui survient brutalement, nous l’avons tous connue à un moment donné.
Parce qu’Isa adorait les fêtes de Noël. Elle nous gavait de petits gâteaux qu’elle faisait, nous couvrait de petits cadeaux, faisait décorer l’école de manière incroyable… Et que je ne peux pas aborder cette fête sans une pensée pour elle, son mari et ses gamins… Et même si je suis apaisée par rapport à certaines choses, l’injustice de son départ me rend encore dingue. Parce qu’elle a laissé un grand vide en moi, en nous. Et quand parfois je vais me planter devant cette pierre grise et froide je lui dis qu’elle fait chier. Qu’elle n’avait pas le droit de partir comme cela. De nous laisser. Et je lui dis combien je l’aime. Qu’elle est toujours là. Et qu’elle aurait adoré cette terrasse. Si vous saviez combien j’aimerais la serrer contre moi là, à cet instant, juste un souffle d’elle dans mes cheveux…
Voilà pourquoi j’ai du mal encore avec Noël. Noël, c’était elle.
« Un voile de silence…. Depuis dimanche….
Je marche, je parle, je travaille, je souris à mes enfants…. Mais je suis entourée par un voile de silence…. J’entends ce qu’il faut entendre…. J’écoute ce qu’il faut écouter…. Mais dès que je suis seule, j’éteins tout…Radio, musique, télé…. J’ai besoin de ce voile de silence…. Pour essayer de comprendre…. Pour penser…. Pour pleurer…. Pour te parler….
Et même ce silence me paraît trop bruyant….. Comme si de là-haut allait me parvenir ton rire qui ne vient pas… Comme si de là-haut pouvait me parvenir les mots que tu avais peut-être à me dire…. Comme si de là-haut les cliquetis de tes bracelets et de tes colliers pouvaient descendre…. Mais rien ne vient…. J’attends… Je ne fais rien… Je regarde le jardin qui s’endort… J’observe mes tissus qui m’attendent…. Je prends un livre mais ne l’ouvre pas….
Seuls ton sourire et les dernières minutes passées avec toi sont là…. Nous avons ri, nous avons parlé, denos lectures, de mes bricolages, de l’école…Nous avons ragoté (fait nos langues de vip’, quoi….)… Tu m’as parlé de tes projets pour après… Et quand je suis partie, tu m’as demandé de t’apporter mes petits sacs… Pour voir mes progrès…. Et je suis sortie de chez toi, rassurée…. Tu étais belle, souriante…. Un rien fatiguée, peut-être. Cela fait 10 jours….
Hier, je suis venue te dire Au revoir…. Je t’ai regardée…. Tu dormais…. Je n’ai rien dit… Et j’ai pleuré. Des torrents de larmes pour laver ma peine, ma colère, mon amertume…… Dans ce voile de silence…. Nous étions face à face…. Et dans ma parfois détestable pudeur, je t’ai dit « je t’aime » tout doucement…. Je sais que tu as entendu…. Et c’est tout ce que j’ai su te dire… Je t’ai envoyé un baiser et je suis partie…. Rejoindre nos amis qui étaient là aussi…. Rejoindre ta famille qui nous attendait…. J’ai écouté Sylvain nous expliquer tout…. Si ma tristesse est toujours là, ma colère s’est envolée quand il a donné des réponses à nos questions… Je suis rentrée apaisée… Triste mais apaisée….
Et aujourd’hui, je te cherche autour de moi, dans chaque goutte de pluie, dans chaque feuille jaunie, dans chaque chant d’oiseau, dans chaque rire d’enfant, dans chaque fleur d’automne, dans chaque pas que je fais…. Chaque geste me rappelle, me fait souvenir…. Le fait de boire un café me rappelle que tu étais incapable d’en faire un correct…. Le fait de feuilleter un livre me rappelle combien tu m’en as offert…. Même en choisissant un foulard ce matin, je suis tombée sur un que tu m’avais ramené d’Egypte…. Tout…. Tout me ramène à toi….
Demain, nous serons tous là, près de toi….. Sylvain et les enfants m’ont demandé, hier, de te lire mon article précédent. Pour te dire un ultime Au revoir….. Parce qu’il t’avait boulversé et parce que je te disais des choses que je n’avais jamais osées…. Je savais que tu l’avais lu mais j’ignorais à quel point il t’avait touchée…. Alors, oui, je te le lirai…. Je nous enfermerai toutes les deux dans ce voile de silence et je te dirai…. Et je verrai ton sourire et ton regard bienveillants….
Et après, tout doucement, lentement, j’enlèverai ce voile de silence car tu aimais la vie et je sais, au fond de moi, que tu aurais voulu que nous recommencions à sourire….
Tu vas me manquer Isa….. Terriblement… Infiniment…. »
Voilà… N’oubliez pas de dire à vos amis, proches… Combien vous les aimez. Avant de regretter de ne pas avoir su trouver les mots. Rappelez vous combien l’amitié est une chose précieuse qui défie le temps, les différences, les obstacles si l’on sait lui donner une vraie valeur…
Dans nos vies qui tourbillonnent…. C’est essentiel.
Evidemment, et comme toujours, tu parles avec ton coeur, tes tripes, et c’est poignant. Oui, quand nous avons des amis, des proches, nous ne prenons pas toujours le temps de leur dire combien nous les apprécions, voire combien nous les aimons. Pour se consoler, il nous reste le souvenir, et le sentiment qu’ils sont toujours là à nos côtés.
A ce sujet, j’aime beaucoup une prière indienne (d’Amérique du Nord). Elle est très connu, mais je ne résiste pas au plaisir de la reproduite ici (et en plus, je n’ai pas ta plume, mon amie):
Quand je ne serai plus là, lâchez-moi !
Laissez-moi partir
Car j’ai tellement de choses à faire et à voir !
Ne pleurez pas en pensant à moi !
Soyez reconnaissants pour les belles années
Pendant lesquelles je vous ai donné mon amour !
Vous ne pouvez que deviner
Le bonheur que vous m’avez apporté !
Je vous remercie pour l’amour que chacun m’a démontré !
Maintenant, il est temps pour moi de voyager seul.
Pendant un court moment, vous pouvez avoir de la peine.
La confiance vous apportera réconfort et consolation.
Nous ne serons séparés que pour quelques temps !
Laissez les souvenirs apaiser votre douleur !
Je ne suis pas loin et la vie continue !
Si vous en avez besoin, appelez-moi et je viendrai !
Même si vous ne pouvez me voir ou me toucher, je sera là,
Et si vous écoutez votre cœur, vous sentirez clairement
La douceur de l’amour que j’apporterai !
Quand il sera temps pour vous de partir,
Je serai là pour vous accueillir,
Absent de mon corps, présent avec Dieu !
N’allez pas sur ma tombe pour pleurer !
Je ne suis pas là, je ne dors pas !
Je suis les mille vents qui soufflent,
Je suis le scintillement des cristaux de neige,
Je suis la lumière qui traverse les champs de blé,
Je suis la douce pluie d’automne,
Je suis l’éveil des oiseaux dans le calme du matin,
Je suis l’étoile qui brille dans la nuit !
N’allez pas sur ma tombe pour pleurer
Je ne suis pas là, je ne suis pas mort.
A chaque fois que je lis cette prière amérindienne, j’ai les larmes qui perlent… Des frissons partout….
Parce que oui, ils sont partout….
Enormes bisous mon cher Marc!
Ce que j’ai pû pleurer en te lisant !Le deuil est pour moi quelque chose de tellement compliqué !
Mon petit copain est décédé dans un accident de voiture il y a 9 ans. Tout comme toi tu penses à ton amie chaque jour je pense à lui chaque jour depuis 9 ans, mais contrairement à toi même après 9 ans je ne suis pas apaisée et après 9 ans je me dis que c’est trop tard que je ne pourrais jamais l’être.
Pourtant aujourd’hui je suis de nouveau en couple, je suis même mariée, mais c’est comme si nous formions un couple à trois et ça crée parfois des tensions entre mon mari et moi. J’ai l’impression que jamais je ne pourrais faire mon deuil alors moi je t’admire.
je suis très touchée par tes mots. Ils sont boulversants.
Bien sûr que tu feras le deuil. Il faut juste apprendre à accepter l’inacceptable… Et oui c’est difficile.
Parfois je repense à elle avec une rage à peine dissimulée. Pourquoi? car malgré tout, la question est là…
Je pense bien fort à toi et je t’embrasse tout aussi fort!
Nath