La mémoire.
Luis Buñuel, cité au début du livre, dit:
« Une vie sans mémoire ne serait pas une vie, tout comme une intelligence sans la possibilité de s’exprimer ne serait pas une intelligence. Notre mémoire est notre cohérence, notre raison, notre sentiment et même notre action. Sans elle, nous ne sommes rien. »
Anthony Doerr, dans « Le Mur de mémoire », nous offre 6 nouvelles écrites magnifiquement, sur les liens entre le présent et le passé et sur leur impact dans nos vies.
Il nous prend par la main et nous entraîne dans un voyage autour du monde: Afrique du Sud, Etats Unis, Chine, Lituanie … avec des personnages aussi ecclectiques que possible, dans des genres totalement différents, de la nouvelle futuriste qui donne son titre à ce livre, à un mélange de récit et d’une trame épistolaire, en passant par un « conte » symbolique lituanien…
Les thèmes sont tout aussi différents: la stérilité, la maladie d’Alzheimer, la mort de ses parents et l’exil, l’adultère et le pardon tacite, la déportation et ses douleurs que l’on ne peut apaiser, la modernité qui dévaste un village.
Chacune de ces histoires est passionnante, troublante. On en ressort, surpris et ému à chaque fois. Parce qu’Anthony Doerr use des mots avec une certaine pudeur. Les choses sont dites avec délicatesse. Jamais il ne tombe dans le pathos, dans le larmoyant. On devine le regard de la mère paysanne sur son fils ingénieur qui signe l’arrête de mort de son village natal. On imagine la détresse intime de ce couple qui ne peut avoir d’enfant. On se met à la place de cette orpheline américaine qui arrive dans le village pauvre de son grand père lituanien. On a les larmes au bord des yeux à l’évocation du souvenir des 11 orphelines mortes en déportation, parce qu’elles avaient eu le malheur d’être juives et nées au mauvais endroit au mauvais moment… Mais tout est dit en douceur, sans voyeurisme aucun. Parce que les mots de l’auteur sont justes et posés et qu’il nous rappelle intelligemment que sans mémoire, sans nos souvenirs, aussi douloureux soient ils, nous ne serions pas qui nous sommes.
Et qu’il faut savoir l’accepter, grandir, faire des choix, aimer… avec la conscience de tout cela.
Et ces passages au fil de ces nouvelles… Magnifiques… Les deux qui m’ont émue au plus haut point.
» Tu veux savoir? Ce que c’est? De consolider la digue? D’en boucher les fissures avec ses doigts? D’avoir l’impression que chaque respiration est une nouvelle trahison, un pas de plus qui t’éloigne de ce que tu as été, de l’endroit d’où tu viens, un pas de plus dans les ténèbres? » (La Nemunas)
« Toutes les heures, songe-il, partout sur la planète, des quantités infinies de souvenirs disparaissent, des atlas entiers sont entraînés dans des tombes. Mais au même moment des enfants s’animent, explorent des des territoires qui leur semblent complètement nouveaux. Ils repoussent les ténèbrent; ils sèment des souvenirs derrière eux comme des miettes de pain. Le monde est recréé. » (Vie posthume)
Article écrit en partenariat avec Le Livre de Poche.
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