Avant de commencer ce livre, je ne pensais pas qu’il existait de « haine pure ».
Je pensais, naïve, que dans chaque haine, il y avait des raisons, des explications, et voire un espoir, même infime, de voir cette haine disparaître.
Je pensais que les mots « haine » et « pureté » étaient des antagonismes. Le premier impliquant une noirceur incompatible avec ce que renvoie la pureté.
Emma Locatelli, tout au long de son roman, m’a montré que je me trompais. Dans cette histoire sordide, il y a des haines pures. Vraiment pures.
Des haines tellement viscérales, installés, « naturelles », voire innées, qu’elles sont indemnes de tout espoir d’humanisme ou d’empathie.
En 1945, Gabrielle revient dans son village natal, Bayon, au beau milieu de la Provence. Elle retrouve la ferme familiale. Et sa mère. L’exemple le plus probant de ces haines pures. Une femme au cœur inexistant et à l’âme aussi noire que ses paroles…
» Un ami? Toi?
Il s’appelait Denis.
Et pourquoi il t’a pas épousée?
Il est mort à Dunkerque. »
Je ne l’ai pas vue sourire mais j’aurais parié qu’elle souriait, en marmonnant:
« T’as eu ton malheur, toi aussi, comme les autres. Faut bien qu’il y ait une justice. »
« J’avais oublié que t’as jamais été bonne à grand-chose. Je crois que t’as pas fini de me le rappeler. »
« Lou et moi avons demandé à être photographiées aussi. Ma mère a déclaré que cela lui coûterait moins de jeter son argent par la fenêtre que de payer pour voir deux faces de guenon sur un bout de papier. »
Auprès de cette mère qui n’a d’ailleurs de mère que le nom, vivent Jean, le frère aîné, désormais handicapé, suite à une vilaine blessure lors un échange de tirs avec des soldats allemands en fuite, et Louise, la cadette, la beauté faite jeune femme; le rayon de soleil de cette maison. Mais que seule Gabrielle voit…
Durant son enfance, Gabrielle a toujours trouvé refuge chez les Roccetti, une famille italienne habitant la ferme juste à côté. La seule source de tendresse pendant ses jeunes années. Sauf qu’à son retour, elle apprend que la famille entière a été retrouvée morte, dans des circonstances obscures. Suicide? Assassinat? Vengeance? Ne pouvant se satisfaire des réponses et des explications des uns et des autres, la jeune femme va mener sa propre enquête, épaulée par Paul, le nouveau locataire de cette maison maudite.
En remuant ses propres souvenirs, en interrogeant les habitants du village, en confrontant les versions des uns et des autres, Gabrielle met le feu à une poudrière qui en explosant, va dévoiler la douloureuse vérité.
Avec la Libération en toile de fond, et une écriture limpide et parfaitement maîtrisée, Emma Locatelli nous offre ici un roman noir et violent sur la situation de nombreux villages ou villes au sortir d’une guerre qui a laissé des traces indélébiles en chaque Français. Entre règlements de compte, familles exsangues par les réquisitions, Résistance et collaboration, dénonciations calomnieuses et dérives en tout genre, récits d’exode et de bombardements, les héros de ce roman découvrent le Mal qui s’est immiscé en chacun, et qui a dévasté ou dévaste ce qui reste d’un monde chancelant.
« Dans ce monde dévasté, j’ai vu notre espèce muer en une chose hideuse qui ne portait pas de nom. » (Gabrielle)
Et ces phrases, de Félicien, son oncle…
» C’est comme la guerre. On dit que c’est elle qui fait les gens mauvais. Mais c’est faux, c’est pas la guerre, ni la faim, ni le deuil. Tu sais ce que je pense moi? Je pense qu’il y en a qui viennent au monde avec une graine de saloperie dans le cœur. Ils l’ont en eux du jour où ils ouvrent les yeux. Une putain de graine qui pousse, qui sème des germes, qui profite de toutes les horreurs et de tous les malheurs de la vie pour grandir. »
Et s’il avait raison?
(Article écrit en partenariat avec Le livre de Poche)
A lire absolument!
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