#IB Challenge
Invasions Barbares
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À propos d’Invasions Barbares
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Forme une tribu et poste les vidéos de tes #IB.
Ton nombre de LIKE déterminera ton prochain défi.
Prêt pour ta première #IB ?
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— Tu filmes ?
— Attends deux secondes.
Ryan posa sur son visage le masque qu’il avait choisi pour l’occasion, celui des Anonymous. Rien de bien original, mais il avait eu du mal à trouver autre chose dans les magasins de jouets. Il y avait bien des trucs plus cool sur internet, mais il ne voulait pas risquer de se faire choper à cause de ça.
— C’est bon, j’suis prêt. Tu es sûr qu’il n’y a personne ? demanda-t-il à son comparse qui s’était dégotté une de ces cagoules qui vous font une tête de mort au sourire carnassier.
— Putain évidemment, et j’sais même qu’ils vont pas revenir tout de suite. Allez magne ton cul, je couperai ça au montage.
Ryan avança le premier vers le palier de l’appartement et sortit de son sac à dos une radio. C’était celle qu’on avait faite pour son appareil dentaire quand il n’était encore qu’un gosse. Il la glissa dans la fente de la porte et descendit d’un coup sec. On entendit un petit clic.
— Putain, frère, j’y crois pas, ça marche vraiment.
Ses yeux brillaient comme si on lui avait offert le plus beau cadeau de la Terre.
— Allons-y !
Ryan refréna un hurlement de joie et se précipita sur l’étagère pleine de livres qui trônait dans la petite entrée.
— À l’attaque !
En même pas cinq minutes, le petit appartement était dévasté. Plus un meuble ne tenait debout, les cadres étaient cassés, les photos déchirées.
La horde avait tout détruit sur son passage.
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Vous avez une nouvelle notification.
Les 1 du 9-3 et 49 other people ont réagi à une vidéo.
Vous avez un nouveau message.
Invasions Barbares
Kill_ian, vous avez atteint 50 likes avec votre vidéo.
Bienvenue au niveau 5 !
Pour passer au niveau 6, il va falloir y aller plus franchement : on veut voir le sang couler.
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Ça devenait sérieux.
Ce petit bourge de Ryan avait depuis longtemps quitté l’affaire. Il avait eu son grand frisson et puis était retourné à son petit deal de shit bien plan-plan. Il avait eu la trouille, mais c’était la même peur au ventre qui faisait qu’il fermerait sa gueule, donc c’était pas plus mal comme ça.
Kill_ian avait réussi à s’entourer de gens comme lui qui aimait bien foutre sur la gueule. Des gens pleins de haine, avec la rage et l’envie de cogner, dans le coin, on en trouvait facilement. Mieux valait ça qu’un boulet qui se mettait à vomir partout en pleine action. Il avait vu une vidéo comme ça la semaine dernière, c’était dégueulasse. Il ne s’y était pas attendu et avait failli gerber son kebab.
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Kill_ian s’approcha de la femme attachée sur la chaise. Elle se mit à pousser des hurlements assourdis par le foulard serré qui blessait les commissures de ses lèvres. Il la gifla si brutalement que son souffle fut coupé.
— Ta gueule, commenta-t-il. Sinon je cogne plus fort.
Elle acquiesça d’un hochement de tête. Ses yeux écarquillés par la terreur étaient emplis de larmes.
— En fait… vas-y, crie, fais-toi plaisir, je vais te défoncer de toute façon.
Il recommença à la frapper.
De l’autre côté de la pièce, le mari assistait impuissant à la scène. Il était à plat ventre sur le sol, un des Barbares sur lui, lui écrasant le dos avec ses chaussures de chantier et relevant sa tête qu’il tenait par les cheveux pour qu’il ne perde pas une miette de la scène. Il était scotché de partout, pieds et poings liés, bâillonné, et la bande métallique luisait légèrement, reflétant le moindre faisceau de lumière de cette demi-obscurité. Il fallait voir sans être vu, tout un challenge en soi.
— Tourne-le un peu vers moi, oui, comme ça, fais un sourire à la caméra.
Le troisième et dernier Barbare était chargé d’immortaliser ce défi avec son téléphone.
— Arrête de le filmer lui, on s’en fout, regarde-moi, ordonna Kill_ian. Y a pas que le sang qui va couler, j’te jure, je vais lui faire gicler des bouts de cervelle.
— Tu crois qu’on peut passer directement au niveau 7 ?
— J’sais pas. Mais on va essayer.
Celui qui retenait le mari rigola doucement.
Kill_ian recommença à la tabasser. Méthodiquement, en rythme, avec puissance, sans s’arrêter. La tête de la jeune femme qui devenait méconnaissable valsait sans retenue d’un côté à l’autre sous les coups. Elle allait finir par se désolidariser du reste du corps.
L’idée de casser son jouet, associée à la sensation de toute puissance qui l’habitait, ça le faisait bander. Pourvu que l’autre abruti ne fasse pas un gros plan sur sa queue.
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Une heure plus tard, la vidéo fut disponible sur les réseaux sociaux.
Le lendemain matin, grâce à la vigilance d’un voisin qui s’aperçut que la porte de chez eux était ouverte, la femme reposait à la morgue, et la coquille vide que le mari était devenu était en soins intensifs à l’hôpital.
Peu de temps après, grâce au coup de fil d’un des thanatopracteurs soudoyé à coup de bonnes bouteilles de whisky pour être tenue au courant de tous les décès suspects, la journaliste Corinne Armand et son équipe (un cameraman et un preneur de son) débarquaient sur la scène du crime pour enquêter.
La police avait déjà bouclé les lieux, mais les jeunes du quartier se montrèrent beaucoup plus coopératifs avec la télé qu’ils ne l’avaient été avec les flics. L’un d’eux dégaina même son téléphone pour leur montrer la vidéo qu’il avait vue sur Facebook.
— Le quartier va devenir célèbre, on est les premiers à passer directement deux niveaux !
De retour dans leur camionnette, Corinna avait pris la parole solennellement.
— Je crois qu’on tient l’affaire de notre carrière. Le Marave Challenge, ce n’était rien à côté de ça. Maintenant, on a la preuve de que le IB Challenge n’est pas une légende urbaine. Les gars, notre reportage vaut de l’or.
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Chez Serge Dupart, la télé était allumée en permanence et diffusait sans discontinuer les informations d’une chaîne qui y était dédiée.
Un flash spécial retint son attention et il prit le temps de s’asseoir sur son fauteuil préféré et de monter le son.
— Elle est nouvelle, celle-là, remarqua-t-il. Pas désagréable à regarder, ma foi…
Comme toutes les personnes vivant seules depuis un certain temps, il avait pris l’habitude de commenter à voix haute ce qu’il voyait. Entendre sa propre voix en plus de celle de la télé lui rendait sa solitude plus supportable. Il se tut pour écouter les propos de la journaliste.
« Un défi d’un nouveau genre se répand comme une traînée de poudre dans les réseaux sociaux. Son nom ? Le hashtag IB Challenge, IB pour Invasions Barbares. Des jeunes se filment alors qu’ils entrent par effraction chez des gens pour y relever des défis. Au début, cela semble anodin. Il s’agissait de déplacer un objet, de se servir dans le frigidaire. Mais c’était sans compter l’escalade de la violence. Lors du dernier challenge en date, une femme est morte, rouée de coups.
Nous avons pu recueillir le témoignage du mari de la défunte, lui aussi victime de l’attaque et maintenant paraplégique.
— Ces salauds m’ont forcé à tout voir. Ils avaient un accent, on sait très bien d’où ils viennent ces gens-là ! Pas un hasard s’ils se font appeler des Barbares, ils cherchent à nous envahir, c’est sûr ! »
Serge ne put s’empêcher de pousser un juron.
— Ça c’est encore de la faute des étrangers. Je suis sûr que c’est des migrants. Pauvre France. Dire que Jean-Marie n’est plus là pour redresser la barre. Pays de cons.
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À midi, il y avait 15.000 participants selon la police, 150.000 selon les organisateurs. Et la journée était loin d’être terminée.
La « Marche Blanche » était un succès aussi médiatique que populaire. Jeunes et moins jeunes s’étaient unis pour manifester contre la violence des banlieues.
C’était avec émotion qu’Alexis Demaistre regardait autour de lui les banderoles qui exhortaient les étrangers à partir et le président à démissionner. Il était particulièrement fier de son jeu de mots. « Marche Blanche » selon l’expression qui désigne une manifestation pacifique, mais surtout marche blanche contre les Barbares, les envahisseurs, les Arabes et tous ceux dont la couleur de peau était un peu trop sombre, ou dont la religion ne lui convenait pas.
C’était un des militants qui lui avait soufflé l’idée, un petit vieux qui s’était nouvellement inscrit après la fameuse affaire du challenge qui avait mal tourné à Montrouge. Enfin, mal tourné, ça dépend pour qui. Ils avaient eu dans les dix jours qui suivirent le drame plus d’adhésions que durant toute l’année passée. Quoi qu’il en soit, le soixantenaire avait utilisé cette expression pour organiser une marche de soutien et à la mémoire des victimes, et Alexis avait eu la fine idée de jouer sur les mots. Ce qui avait bien plu aux militants. La provocation n’avait pas échappé aux médias non plus, qui s’étaient empressés de relayer le scandale, ce qui leur avait fait de la promotion gratuite. Mais, cerise sur le gâteau, Alexis ayant toujours nié publiquement le double sens, les organisations antiracistes et les partis adverses n’avaient pas pu obtenir le changement de nom de la « Marche Blanche ».
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Ils étaient plus proches du but qu’ils ne l’avaient jamais été. Il n’avait plus qu’à poster le bouquet final.
Invasions Barbares
Tu fais partie des finalistes. Pour remporter la victoire finale, toutes les hordes doivent attaquer la « Marche Blanche ». Celle dont la vidéo remportera le plus de LIKE sera déclarée Empereur et touchera 100.000 euros en cash.
Que le meilleur gagne !
Il appuya sur « Enter » et le message fut instantanément envoyé dans toute la France. Il se frotta les mains. Les retombées du drame allaient être excellentes pour la montée de son parti.
C’était une ficelle vieille comme le monde en politique, de faire accuser quelqu’un d’autre des crimes qu’on avait soi-même commis. Les nazis étaient très forts à ce jeu-là. Mais grâce au développement des réseaux sociaux, on pouvait aller beaucoup plus loin maintenant dans la manipulation des foules.
— L’élève a dépassé le maître, se félicita-t-il pensif en jetant un œil au portrait de Goebbels accroché dans son salon.