Souvent, on me demande si c’est facile de chroniquer un livre. Ben oui, dans la mesure que je ne chronique que les livres que j’aime. Quand je n’aime pas, je ne chronique pas car lorsqu’un bouquin me gave, je l’abandonne au bout d’une poignée de pages. Je ne peux décemment pas parler d’un livre que je n’ai pas terminé. Ma montagne à lire grandit à vue d’oeil et je ne vais pas perdre mon temps. Trop précieux. Alors je passe à autre chose. J’en ai quelques uns près de mon lit qui prennent la poussière, avec un marque page à la page, attendez…je vérifie… 73, ou 58 ou 92. Donc voilà…
Chroniquer « N’y descendez jamais » est sans doute un exercice qui va être très difficile.
Vous savez, c’est comme lorsque vous êtes sans mots devant une chose qui vous procure tant d’émotions que ceux-ci vous paraissent futiles. Voire inutiles. Vous êtes là. Bouche bée. Et vous ne dites rien. Laissant vos sentiments vous submerger. Et vous attendez que la tempête émotionnelle passe. Avant de reprendre une activité normale…
Je n’ai pas écouté Fabrice. J’y suis descendue. Et je n’arrive pas vraiment à remonter.
J’ignore même si je vais parvenir à remonter… Parce qu’Aby est désormais près de moi. Depuis que j’ai ouvert ce livre, elle ne me quitte pas.
Aby? Qui est-ce?
Aby est une vieille dame qui vous raconte sa vie. Par moment. Quand l’auteur prend le relais, on a l’mpression qu’elle l’écoute, elle aussi. Un récit qui s’étale sur 70 ans.
De la petite fille « maudite » qu’elle était (fruit d’un viol du maître de sa mère) à ces jours noirs qui clôturent le récit, alors qu’elle est cette vieille femme aux douloureux secrets.
Une fresque sociale de la misère inhumaine qu’ont vécue ces descendants d’esclaves noirs américains.
Je suppose que vous avez tous vu « Autant en emporte le vent ». Et bien, imaginez que vous tenez le négatif du film dans la main, et que vous le regardez. Scarlett O’Hara n’a plus ce teint diaphane mais est noire. Les champs lumineux de la Georgie sont désormais les bas-fonds obscurs de Harlem. L’histoire pourrait être la même. Une femme qui se bat envers et contre tous pour protéger ce qu’elle aime. Miss Scarlett voulait à tout prix sauver Tara et sa famille. Aby, elle, veut sauver les siens. Vu qu’elle ne possède rien. Scarlett tirait sa force « de la terre rouge de Tara », Aby, elle, la tire de sa grand-mère, Jaja, prêtresse vaudou, la seule à l’aimer réellement et à lui montrer une véritable et douce affection. Sauf qu’en perdant, et l’une Tara, et l’autre Jaja, elles vont user de tous les moyens pour parvenir à leurs fins. Quitte à faire des choses incompréhensibles pour nous.
Si la comparaison s’arrête là? Pas vraiment.
Ces deux femmes aux yeux clairs sont victimes de la furie des hommes et du marasme de la société dans laquelle elles vivaient. Ce sont eux qui en ont fait ce qu’elles sont. Hommes abjects et société dans laquelle le mot « justice » n’existait pas. Elles deviennent au fil des ans des femmes dures et sans pitié. Que l’on peut se plaire à détester. Ou admirer.
J’en reviens à Aby. Seulement à elle.
Elle passera sa jeunesse à essayer d’éviter les coups et les viols de son père, à côté de qui Danny Glover dans « La couleur pourpre » ferait presque pâle figure. (Quoique… ) Le diable incarné. Un Djab. Il emmènera les siens vivre à Harlem, espérant ainsi vivre vraiment libre, sans maître qui l’exploitera. Il n’a pas tort. D’un certain point de vue. Sauf que désormais c’est lui qui mettra à genoux, qui va anéantir doucement sa propre famille. Ses filles, sa femme et Jaja vivront terrorisées sous le joug de celui que Harlem et ses démons vont déchaîner.
Aby va grandir. Vivant une vie sombre. Rythmée par la violence de ces hommes en lesquels elle voulait croire.
Toute sa vie, elle restera cette petite fille qu’on a envie de prendre dans ses bras, de câjoler, de protéger, d’enlever à la folie humaine. Mais elle sera aussi une adulte, à son tour prêtresse vaudou. Crainte et estimée. Mais fragile, à la merci de ses propres peurs.
Parce que c’est là le fil conducteur de ce roman épique. La peur. Comment peut-on vivre sereinement quand on a la peur au ventre? Quand le moindre de ses gestes ou paroles peut déclencher cette violence méprisable. Et bien on ne vit pas. On essaie de survivre. En se défendant comme on peut. Avec des moyens plus ou moins louables. Aby va en user de ces moyens qui nous font peur à nous aussi. Nous plongeant dans nos pires cauchemars. Et surtout dans ses pires secrets.
« N’y descendez jamais ». Que vous le vouliez ou non, vous descendrez, dans les endroits les plus reculés de vos angoisses, de vos rêves les plus sombres. Dans une violence incommensurable. Et vous aimerez cela. Vous verrez.
Dans ce premier roman, Fabrice Liégeois vous gifle, vous secoue, vous colle au mur, vous prend par les tripes avec la délicatesse de ceux qui maîtrisent si bien les mots. « Il promet de vous prendre à l’intérieur et de vous traumatiser. » dixit la 4ème de couverture.
Et il le fait. Tout au long de la lecture, vous secouez la tête « Non non, il ne peut pas faire ça, c’est pas possible » « Non Aby, non!« . Vous crevez d’envie de rentrer dans le livre, de prendre Aby sous le bras et de la sortir de cet enfer. Vous vous demandez pourquoi, comment, quand, on peut écrire cela. Vous n’essayez même pas d’imaginer d’où ces idées lui viennent. Alors vous le contactez. Et il sourit, ou rit. En vous expliquant.
Moi, je lui ai dit que je le détestais, à un moment donné. Cela l’a fait rire. J’étais descendue.
J’ai lu le Mal à défaut de le voir. J’ai vu que des êtres bons et bienveillants peuvent devenir des monstres sous l’emprise de la peur et de la lâcheté. J’ai imaginé, horrifiée, être dans cette cave (la porte de la mienne sera murée sous peu). J’ai pleuré avec Aby dans les bras. J’ai espéré. En vain.
Le Mal est à chaque page, écrasant de sa toute puissance le Bien qui ne peut rien faire face à la lâcheté des hommes.
« Combien de fois ai-je été le témoin, et l’objet de ces regards qui se détournent au lieu de dire? Au lieu de de se porter au secours de l’autre, ne serait-ce que pour changer le cours d’une vie? »
Et nous? Si nous avions été à la place d’Aby, qu’aurions nous fait? Je l’ignore.
La seule chose que je sais, là, est que ce livre est un électro-choc. Un récit riche de détails sur la vie dans ces quartiers abandonnés par la raison, sombres, dominés par la violence quotidienne et revancharde des hommes qui n’ont d’hommes que le nom justement…Une merveille aussi noire que l’est cette cave maudite, symbole de la puissance de notre côté obscur.
En chacun de nous, chaque jour, se battent un Djab et un Ti’ Bon Ange. A nous de décider, de choisir lequel sortira vainqueur.
Et ça, ce n’est pas gagné.
Et pour la version papier, disponible et en commande directe auprès de l’auteur c’est ICI!!!
Et pour ceux qui veulent en savoir plus sur cette fresque hors du commun, rare et brillante, avec bandes sons et vidéos à l’appui, c’est ici, la page officielle de l’auteur… (N’hésitez pas à aller lui parler quand vous aurez lu… Il vous attend…)
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Fabrice….
Voilà…
Tu sais ce que j’éprouve pour Aby. Elle est près de moi.
Tu sais à quel point je te suis reconnaissante pour tout le reste.
Je cherche désormais une petite maison sans cave ni sous sol. On ne sait jamais… Des fois que je sois tentée d’en faire descendre quelques-uns ou unes…
« Angel Heart » m’a traumatisée quand j’étais jeune. Ton roman vient de me traumatiser d’une autre façon.
En parlant de ton roman aujourd’hui, il m’a été conseillé de cacher mes épingles de couturière, ou du moins les éloigner des poupées de ma fille… (ne t’étouffe pas avec ton café… Ou ne le recrache pas de ta façon si particulière…)
Je vais m’évertuer à ne plus dire « Loas » en haussant la voix sur cet élève qui s’appelle Loan.
Mais je vais continuer à envoyer des messages ponctués de ces petites phrases créoles pleines de bon sens que tu as distillées au fil des pages…
Et surtout, oui, promis, je vais continuer à sourire. « Anye pa séché pi vit pasé Ti Bon Ange » (Et là, ceux qui lisent se demandent « Mais qu’est-ce qu’elle raconte? »)
Après avoir lu un tel roman, comment peut-il en être autrement?
Merci… Et continue, s’il te plait, ok? » Chak flé ka fléwi an tan-y » (Hé hé hé… Elle remet ça!)
Je t’embrasse.
Nath
Nathalie,
Je crois que je l’ai lu en apnée une dizaine de fois… Quoi te dire… Je crois qu’elle est fière ma Aby de tes mots… Nous te remercions et prends bien soin d’elle.
Je t’embrasse,
Le petit-fils de Aby, Fabrice.
Merci encore pour tout…
Moi je crois surtout qu’elle est fière de toi… Moi je ne fais que souffler sur tes mots pour les faire voler très loin ou attiser la flamme de leur éclat…. Je t’embrasse aussi !!!!!
[…] Vous voulez faire comme moi, ne pas écouter et y descendre? Ok. Allez y! Mais faites attention, vous n’êtes pas certains de pouvoir remonter…. Un premier roman percutant et jubilatoire…. […]