Lundi je me lance dans la « grande cuisine »…
Toutes ces émissions culinaires à succès m’ont mis l’eau à la bouche. Moi-aussi je veux réaliser des fricassées de veau aux girolles, des émincés de poulet fondant au curry et au miel ou des carpaccios de Saint-Jacques mangue-basilic.
J’ai investi dans un joli tablier fantaisie floqué du sempiternel « C’est moi le chef! » et rempli mon caddie à bloc d’ingrédients divers et variés pour la modique somme de 400 euros.
Alors oui, lundi, je mets les petits plats dans les grands et je compte bien faire un peu d’ombre aux Alain Ducasse, Christian Constant, Guy Savoie et Thierry Marx de tout poil! Juste la grande répétition générale à domicile avant de faire de moi le Master Chef 2016 et d’entrer dans les plus grandes maisons gastronomiques qui s’arracheront à prix d’or mes talents devenus légendaires.
Oui, oui et oui, ce lundi est un véritable virage professionnel, une reconversion aussi inattendue que lumineuse, tel un phénix renaissant de ses cendres, portant l’estocade finale à tous mes détracteurs ignorants et stupides.
Mardi je m’attaque donc à mon premier plat qui deviendra sans conteste ma future marque de fabrique: le canard à l’orange. Sud Ouest oblige! Je démarre ma recette sur les chapeaux de roues en « habillant le canard » comme indiqué dans la recette. Habillé le canard? Ça veut dire quoi au juste? Dans le doute, je décide de l’envelopper dans du papier aluminium, histoire de le déguiser façon Daft Punk.
Puis, en fin de cuisson, la feuille de route me précise: « Le canard est ensuite gardé au chaud et à couvert, débarrassé de la fourchette de bréchet ». Ça tombe bien, j’en ai pas. J’ai des fourchettes classiques, à dessert et à escargot mais pas de bréchet. Donc, tout va bien.
Pour réaliser le fond de poëlage, il me faut « pincer les sucs ». Du coup, j’écrase non sans mal entre mes doigts quatre morceaux de sucre blanc Beghin-Say et plonge le résultat informe dans ma cocotte.
Ensuite, paradoxe, pour « décoller les sucs », il me faut réduire de moitié. Par conséquent, je découpe en deux ma volaille et décide à contrecœur de balancer à la poubelle une jolie cuisse bien dodue, une aile appétissante et un généreux morceau de flanc. Je trouve ça plutôt nul mais si la recette le dit…
Le soir, quand j’offre à goûter mon plat à Pierrot, Jean-Claude et Tintin, d’une part j’ai le sentiment de bouffer du caramel pur jus et secundo, un demi-canard pour quatre, c’est quand même un peu raide. Bref, une recette de naze.
Mardi, ma volaille est un échec mais qu’importe, c’est en forgeant qu’on devient forgeron.
Du coup mercredi, je m’arrête sur une nouvelle recette que je souhaite faire mienne: « Le gâteau au fromage de chèvre et cœur de canneberge ».
Bon, première étape: qu’est-ce qu’une canneberge? Pfff… J’en sais fichtrement rien et de toute façon, j’en ai pas. Je décide de prendre un truc qui sonne pareil: des asperges. Sans doute de la même famille…
Ça démarre pas mal, je réalise la pâte sucrée puis la base du gâteau. Et là, le bât blesse. Lorsque je passe à l’étape de la compote, il est dit qu’il me faut fouler correctement pour récupérer la pulpe. Dans une bassine, à pieds nus, je me mets donc à écraser ma préparation, du beurre fondu et du fromage de chèvre plein les orteils. En voilà une technique! L’affaire me dégoûte.
D’autant que l’asperge et le chèvre, en matière de gâteau, on a déjà fait mieux. Avec le chèvre, tu as une véritable haleine de bouc et avec les asperges, tu t’en souviens encore même quand tu vas pisser. Conclusion, très peu pour moi.
Je balance tout ça dans la gamelle de Mafiote, mon célèbre persan castré, qui lui-même se détourne de son auge avec dégoût. C’est dire…
Malgré tout jeudi, n’en déplaise à beaucoup, je maintiens le cap et prends le temps de choisir avec minutie et concentration mon futur plat d’avenir incontournable. Je m’arrête ainsi sur une recette visiblement abordable car après tout, en cuisine, la simplicité c’est souvent tout un art. Je jette mon dévolu sur une quiche d’endives et fondue de poireaux. Une préparation assez simple que je réalise avec application en moins d’un quart d’heure.
Mais en dernière étape, les affaires se corsent. Il me faut- je cite- « abaisser » la pâte. Je décide alors de l’aplatir comme une crêpe, à mon grand étonnement. Puis, dans un second temps, je note qu’il est nécessaire de « videler » la matière. Ok, mais la videler dans quoi? Parce que moi, des moules, des ramequins, des plats ronds, carrés, rectangulaires, j’en ai un paquet, hein, c’est pas ça qui manque!
Et puis d’ailleurs, c’est quoi exactement « videler »? Y’a pas une faute de frappe là, dans ma recette? C’est pas « vide lait » plutôt?
Peut-être, mais un vide lait, je sais pas non plus à quoi ça rime. Un tire-lait, oui, parce que je me souviens que ma cousine Sonia avait tellement de lait après son accouchement qu’elle a fourni toute la région Midi-Pyrénées pendant six mois.
Enfin pour le coup, rien à voir j’imagine…
Bon sang je m’y perds avec toutes ces indications à la con! Je finis par faire cramer mes endives et mon fondue de poireaux ressemble à un mauvaise soupe de l’Armée du Salut.
Merde, merde et merde!!!
C’est pourquoi vendredi, je suis devenu quasi allergique au mot « cuisine ». J’ai balancé tous mes livres de recettes. Ras le bol de deviner ce que veut dire: blanchir, candir, chanfroiter, déglacer, écaler, trousser, abricoter, afflanchir ou chiqueter. Mes recettes sont devenues une véritable dictée de Pivot et si tu n’as pas un dico à proximité, il devient inutile de t’aventurer au cœur des fourneaux.
Non vraiment, n’est pas grand chef qui veut. La cuisine gastronomique est véritablement un art et un métier d’exception laissant peu de place à l’approximation.
Adieu vocation! Adieu nouvelle vie! Adieu veste au col auréolé du ruban bleu-blanc-rouge!
Alors pour saliver encore un peu, je vais continuer à regarder ces émissions au coulis de fruits rouges et zest de citron vert sur tartelette meringuée ou ces gambas grillées deux façons au beurre d’ail et gingembre. Tout cela en matant TF1, avachi au fond de mon canapé avec ma pizza surgelée sur les genoux.
Non mais quelle tristesse parfois, j’vous jure…