Il est un homme que tu peux croiser dans la rue. Tu sais, le mec qui a le regard dur mais rempli d’une pudique tristesse. Celui des hommes qui ont trop vécu. Un visage marqué par des fractures invisibles, celles que l’on ne voit pas mais qui laissent des traces d’une profondeur indicible. Celui qui t’offre un sourire sincère et discret quand tu le salues. Et qui te répond avec un accent d’ailleurs.
Il a sans doute eu une vie que ton petit quotidien peine à imaginer. Il cache ses secrets dans les poings serrés au fond des poches de son manteau. Sa vie d’avant, celle qu’il a fui, comment était-elle? Une vie pauvre dans un village? Etait-il agriculteur, ouvrier ou commerçant? Comment vivait-il? Sa famille? A-t-il des enfants? A-t-il aimé? Qu’a-t-il abandonné là-bas, pour avoir les yeux si sombres parfois? Pourquoi est-il là? P
Cet homme s’appelle Arben. Il est albanais. Sur le drapeau de son pays, il y a des aigles. Lui s’est envolé voilà quelques années pour fuir un pays dans lequel plus rien n’était viable, ni lui, ni sa vie de famille, et ni son amour propre. Enfant et jeune homme sous un régime communiste intransigeant, avec des limites que personne ne pouvait dire, dénoncer, voire même penser, il voit son monde s’écrouler lorsque l’avènement du capitalisme dans lequel il voyait l’explosion des libertés, le droit de lire les grands philosophes français, dénoncer les injustices, ne lui offrira finalement qu’une vie à l’opposé de celle dont il rêvait. La vie à laquelle il aspirait le moins.
Et puis… La peur de manquer à nouveau de tout, peur de décevoir sa femme et ses enfants en cas de manque d’argent, peur de ne pas trouver ce travail dont il rêve depuis ses années d’étude. Il voulait étudier, devenir un intellectuel, voyager, à travers le monde., il ne le sera pas. Il ne fera rien. Il dira adieu définitivement à cette utopie lorsqu’il commencera à travailler pour une crapule qu’il côtoyait déjà dans son enfance, enrichissant la mafia locale en s’enfonçant progressivement dans les méandres irréversibles et violentes des trafics de biens, de drogue, et de femmes. Apprenant par la même occasion à maudire ce pays corrompu qui n’a pas su assurer sa transition, à maudire ceux pour qui il travaille, à se maudire lui-même, reconnaître ses faiblesses et lire le mépris et la déception dans les yeux de sa femme. Jusqu’à ce que tout bascule!
Alors il va s’envoler. Loin des aigles endormis de ce pays aux traditions archaïques et dures, qui a réussi à engendrer sans doute l’une des pires mafias de ce bas monde.
Et tu pourras peut-être le croiser, au détour d’une rue.
Il faut avoir fait un gros travail de recherches pour arriver à nous faire vivre cette histoire entre le passé et le présent de l’Albanie. Il faut avoir un sacré cran pour nous entraîner dans un roman qui se passe justement dans l’un des pays que l’on rêve le moins de visiter au monde. Et il faut avoir une plume magnifique pour réussir un tel pari. Danü Danquigny réunit tous ces paramètres. Son roman est passionnant, aussi noir que lumineux. Une petite merveille qui annonce l’envol d’un grand écrivain.
A lire absolument.
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Danü…
Enfin!!! Depuis le temps que je l’attendais! Purée! T’auras mis du temps hein? C’est la dernière fois que je patiente autant, je te préviens. Incroyable ça!
« Les aigles endormis », et cette photo aussi comme un clin d’oeil.
Tu nous en écris un très vite? Promis?
Et merci pour tout, depuis le début. Ta confiance, et cette merveille.
Nath.