La Malle aux Livres noirs

Grossir le Ciel – Franck Bouysse


grossir le ciel LDP« Il faut que tu lises absolument Grossir le Ciel de Franck Bouysse. »

Comment tu pouvais savoir que je serai happée par ce livre? Et surtout qu’est ce qui t’a permis de me conseiller un livre qui ne m’a pas lâchée une seule seconde à partir du moment où je l’ai ouvert? Mais bordel! Tu sais pourtant que je ne peux pas me permettre de me poser comme ça plusieurs heures et ne rien faire d’autre. Et pourtant il a fallu que tu me le jettes à la tête, ce titre! Et moi, curieuse comme je suis, je t’ai écouté.

En quelques lignes, j’étais dans les Cévennes. Avec Gus et Abel. Silencieuse. Projetée au beau milieu d’un hiver rude, qui ne laisse que peu de place à la lumière. Un univers qui m’a rappelé Giono et son « Regain« . Un univers fait de désuétude, de solitude et de cette rudesse dont nous n’avons pas idée.

Je me suis assise sur un banc de pierre, mes doigts jouant avec la fourrure de Mars; regardant défiler la vie de ces deux hommes, vivant dans deux fermes isolées de tout, à quelques centaines de mètres l’un de l’autre, n’ayant aucun rapport avec le monde extérieur si ce n’est par le biais d’une télé capricieuse.  J’ai marché dans la neige; mes pas faisant crisser cette poudre blanche enveloppant chaque parcelle de terre abrupte. J’ai tendu les mains vers les flammes vacillantes de leurs cheminées; feux pas assez puissants pour réchauffer ni l’atmosphère, ni leurs êtres. J’ai bu leur eau de vie remontée des caves noires et sombres. Et surtout je les ai écoutés, ces deux hommes en marge d’une société qu’ils exècrent, aux conversations aussi percutantes que sincères; découvrant leurs secrets aussi violents que leurs blessures sont profondes. Gus et Abel ne se laissent impressionner par personne, caractères durs aux paroles incisives, mais capables de pleurer devant un faon mort ou leur chien malade. Oui je les ai écoutés, debout dans cette sorte de paradis de sincérité, de simplicité dont la solitaire que je suis se surprend à rêver parfois…

Et la plume de Franck Bouysse…  D’une beauté et d’une délicatesse à couper le souffle. J’ai profité du calme apparent de certains passages pour les relire, tant leur poésie et leur justesse m’ont troublée.

« Et après tout, qu’est ce qu’il aurait fait d’un tas d’argent? Personne ne peut repeindre le ciel d’hiver avec. Alors quoi? »

« Quand elle mourut, elle était presque devenue aveugle. (…) Avec le recul, il pensait que le fait de ne plus voir distinctement ce qui se passait autour d’elle avait dû sacrément l’arranger, que c’était sa manière à elle de se retirer en douceur sur la pointe des pieds, de tirer sa révérence en floutant la réalité. (…) »

« Il sembla à Gus qu’elle posait ses yeux sur lui, sans le regarder vraiment, un regard vide de lui quand le sien était rempli d’elle. (…) »

« Je venais de tout perdre en quelques minutes et je te jure que j’aurais voulu que la mort me tombe dessus pour ne pas avoir à vivre ce qui allait suivre; mais la vérité, c’est que la volonté pèse pas lourd devant son destin en marche. »

« Gus se dirigea vers la combe, dans un crépuscule privé d’horizon, sous d’invisibles planètes éparpillées dans le vaste univers, dans le cirque parfait que constituait ce monde, et sous des bardeaux de lumière astrale. (…) »

Si dans « Regain », la présence d’Arsule fait « renaître » la vie dans le hameau désert, ici, la seule évocation des femmes ayant traversé leurs vies plonge le récit dans des noirceurs abyssales. J’ai eu envie de fuir, de quitter ces terres oppressantes. Mais en  marchant en arrière, pour ne pas avoir à les quitter des yeux. Partagée entre la fascination pour ce sublime récit et l’appréhension de ce qui allait arriver, Franck Bouysse distillant à merveille des avertissements ténus au fil des pages. Et à la lecture des dernières pages…. Non. Non. Non. Abel. Gus. Cela ne peut pas finir ainsi. NON!!!

Et bien, si. Cela finit comme ça, avec cette phrase qui résonne et qui résume tout:

« Le Diable, il habite pas les Enfers, c’est au Paradis qu’il habite. »

Et c’est fabuleusement beau. Terriblement violent. Mais fabuleusement beau.

Mais putain de bordel de merde! T’es chiant!  Je fais comment pour sortir de ce livre, moi maintenant?

Lila sur sa Terrasse

Je suis moi.

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4 commentaires

  1. […] Pour ceux qui n’ont pas lu cette chronique, elle est ici. […]

  2. […] comme toile de fond de leurs romans? Hein? Vous savez vous? Après Sandrine Colette, David Coulon, Franck Bouysse, Ian Manook et j’en passe… (ah si aussi! Et surtout! Le Maître du genre, Stephen King), […]

  3. […] auteur est en train de devenir l’un des chouchous de notre terrasse – et quelques chose me dit que c’est loin d’être […]

  4. […] « Tu sais que Franck Bouysse vient de me remercier pour l’article que j’ai écrit il y a plus d’un an sur Grossir le ciel? […]

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