Le Coin des Mecs

Le Chemin… Le retour !

Il y a deux ans, j’écrivais sur ce blog un article sur le Chemin de Saint Jacques de Compostelle, intitulé « Le Chemin … mais quel Chemin ? » pour raconter ma modeste expérience: mes motivations, mon ressenti, etc

Aujourd’hui, et quelques centaines de kilomètres plus loin, j’ai envie de compléter cette première approche, pour vous en dire plus sur cette expérience « extra-ordinaire » (au sens littéral du terme). Depuis 2020, je suis reparti 3 fois, l’appel du Chemin étant toujours aussi fort. En 2021, je suis retourné, avec une amie, sur la voie du Puy-en-Velay, entre Moissac et Roncesvalles (Roncevaux), puis cette année au printemps sur la Voie d’Arles, entre Arles et Toulouse.

Et enfin, à l’automne 2022, le Camino Francès (« Le chemin français » en Espagne) s’est imposé, et parti de Roncesvalles, je suis allé jusqu’à Santiago, et au-delà jusqu’à « la fin de la terre » à Fisterra.

A mon article précédent, j’ai envie de rajouter plusieurs points.

1 / Le Chemin est une expérience unique et étonnante

A mon retour, je me rends toujours compte comme il est difficile d’expliquer à mes amis, à mes connaissances, … ce qu’est réellement cette expérience, quand on ne l’a pas soi-même vécue… Les questions récurrentes sont souvent: « Combien de jours as-tu marché ? »,  » Combien de kilomètres as-tu parcouru en tout ? Et cela fait combien par jour ? ». Ce décalage est assez étonnant, car ces nombres de jours, de kilomètres, etc, ne sont pas l’important, le coeur de ce pèlerinage. L’essentiel est ailleurs: le rythme de vie différent, la fusion avec la nature, les rencontres, oh oui, les rencontres … !

A ce sujet, j’étais impatient d’obtenir ma Compostela (j’en parle plus loin, c’est le diplôme – en latin – attestant que vous avez parcouru le Chemin). Mais une fois obtenu, je me suis aperçu que c’était loin d’être le plus important.

Je me trouve souvent démuni à faire passer ces sentiments et ces idées, et ce n’est qu’en discutant avec d’autres pèlerins qu’on se comprend. Je ne suis pas un écrivain, pas apte à décrire cela, mais je pense qu’il y a une raison très simple: il faut le vivre, parcourir le Chemin en étant ouvert à la nature, aux autres, en faire l’expérience soi-même… J’ai plusieurs ami.e.s avec qui j’ai discuté de ce sujet, et toutes et tous ont ce même sentiment. N’est-ce pas Sonia, Delphine, Jean-Luc, Alain, Jean et d’autres ? J’ai d’ailleurs été frappé en discutant avec une amie (Emma) qui, bien que n’ayant parcouru que 4 ou 5 étapes, a déjà ressenti l’appel du Chemin…

2 / La magie du Chemin

On rencontre toutes sortes de pèlerins sur le Chemin, chacun a sa manière de le parcourir: des sportifs qui courent presque, d’autres avec des écouteurs sur les oreilles (« Do not disturb »), ceux qui font une partie en bus et ne marchent que quelques kilomètres par jour, ceux qui ne font que les 100 derniers kilomètres avant Santiago pour obtenir la fameuse « Compostela » (qui atteste que vous avez « fait » le Chemin de Saint Jacques), … Chacun sa route, chacun son chemin, comme dit la chanson. Et c’est très bien ainsi. Bien loin de moi l’idée de juger qui que ce soit.

Je parlerai des rencontres un peu plus loin, mais je voulais revenir sur la Magie du Chemin. Oui, je pense intimement qu’il y a quelque chose de magique ici. A quoi est-ce dû ? Je ne sais le dire: esprit d’entr’aide, bienveillance, esprits de tous ceux qui nous ont précédé … ?

En tout cas, il m’est arrivé quelque chose que je qualifie d’extra ordinaire, hors du commun, magique cette année.

Mes deux parents (que j’adorais) étant décédés, j’ai apporté avec moi deux chapelets en bois (achetés à Notre Dame de la Garde à Marseille): sur la croix de l’un, j’ai écrit le prénom de ma maman, sur l’autre celui de mon papa. Et chaque fois que j’entrais dans une église, je les sortais au moment de faire une prière. Mon intention initiale était de les jeter dans l’Océan, ou de les déposer au pied d’une croix, une fois arrivé à Fisterra « la fin de la terre ».

Le 29 septembre, je passe devant une jolie fontaine (près du hameau de Sanxil): je sors mes 2 doudous (je vous les ai présentés dans mon précédent article) et je fais une photo devant la fontaine (les doudous et les 2 chapelets étaient dans une pochette dans mon sac à dos). Je reprends mon chemin, et à la pause du midi à Sarria, 12 km plus loin, je m’aperçois avec stupeur que le chapelet de mon papa est manquant… ! Arghhh … Il a dû tomber au moment de la photo.

Je réussis à trouver un taxi qui me ramène 8 km en arrière, mais ne peut aller jusqu’à la fontaine (c’est un chemin en terre) . Je marche 4 km supplémentaires, arrive sur place, je fouille dans les feuilles, rien … Après un quart d’huer de recherche, demi-tour, de nouveau 4 km à pied, puis re-taxi jusqu’à la ville de Sarria. N’ayant pas prévu de coucher ici (comme beaucoup de pèlerins), je poursuis mon chemin jusqu’à un hameau (Vilei) plus loin, un peu dépité.

A table, le soir, l’appétit n’est pas là. Je suis seul à table, mais au moment où j’allais finir, un couple d’américains (John et Ann) s’assoient à la table voisine. Conversation (in english of course):

  • John: « Oh, hello. Comment allez-vous ? Nous nous sommes vus hier soir. Comment s’est passé votre journée ? »
  • Moi: « Effectivement, c’est marrant, nous étions déjà dans le même restaurant hier ». Je raconte alors ma journée mi-figue, mi-raisin, la perte du chapelet, etc
  • Et là, alors qu’ils étaient les deux seules personnes à qui j’ai parlé ce soir-là, John me dit: « Mais j’ai vu deux dames, une française et une anglaise, ramasser votre chapelet à la fontaine ce matin !!! Laissez-moi vos coordonnées, si nous les croisons, nous leur demanderons de vous appeler ». Hasard incroyable, vous en conviendrez !

Il me vient alors une idée. Comme j’ai bien perdu le chapelet à la fontaine, et que la majorité des pèlerins se sont arrêtés ce soir-là à Sarria (donc 5 km derrière moi), je me dis qu’il y a une chance que ces deux personnes soient derrière moi. Ni une ni deux, le matin, je prends des sets de table en papier au restaurant, et j’écris sur plusieurs d’entre eux mon message (en français, en anglais et en espagnol): « J’ai perdu hier un chapelet marqué « Louis » à la fontaine de Sanxil » avec mes coordonnées.

Le matin, je pars très tôt, et dès que le jour se lève, je commence à semer mes sets de table, tels les cailloux du Petit Poucet, à des endroits qui me semblent propices. A un moment, des pommiers ont perdu plein de fruits au sol et un jeune homme écrit un message « en pommes » à ses amis qui sont quelques kilomètres derrière lui. Je fais pareil en écrivant un gros LOVE, et en déposant à côté mon dernier set de table.

Et à 11h du matin, deux appels: « Bonjour, nous nous appelons Anne-Marie et Jane (donc une française et une anglaise), et nous avons trouvé ton chapelet. Où es-tu ? » De fait, j’étais 2 kilomètres devant elles, et je les ai attendues. A leur arrivée, nous nous tombons dans les bras, et je ne sais pas qui était le plus ému des trois. Plus tard, après avoir marché ensemble, nous nous arrêtons pour manger. Arrive alors le couple d’américains, John et Ann: « Ah, vous les avez retrouvées ! Comme nous sommes heureux ! » Une de leurs amies américaines a pris tout ce petit monde en photo: Anne-Marie, Jane, John, Ann, le chapelet et moi, en disant « C’est la plus belle histoire que j’ai vécue sur le Chemin ». Et je pense la même chose. Une sorte de magie, de petit miracle…

Autant vous dire qu’arrivé au bout de mon périple à Fisterra, je n’ai pas pu ni déposer les chapelets sur une croix, ni les jeter dans l’Océan. J’ai fait une photo, mais je les ai ramenés avec moi …

3 / Les rencontres

Un des éléments qui rendent ce Chemin si merveilleux, ce sont les rencontres. Très nombreuses et très faciles. Bien sûr, comme je l’ai dit plus haut, il y a quelques pèlerins qui ne veulent pas se mêler aux autres (écouteurs sur les oreilles), mais ils sont rares. On me dit souvent: « Mais tu pars seul ? ». Oui, mais très souvent, je finis accompagné, ou en tout cas en ayant fait de multiples rencontres (et parfois en gardant le contact après…). C’est aussi le cas avec Alain et Jean, rencontrés sur la Voie d’Arles au printemps 2022. Et cette année, mes parents étaient là, dans mon sac à dos, et quand la fatigue se faisait un peu trop sentir, je pensais à eux, et instantanément, mon sac était moins lourd …,

Sur le Camino Francès cette année, j’ai croisé énormément de nationalités (parler anglais est un avantage !): outre des espagnols et quelques français, j’ai discuté avec des brésiliens, colombiens, argentins, américains, canadiens (québécois ou non), anglais, irlandais, belges, allemands, hongrois, Dana la Slovène (croisée plusieurs fois), coréens, chinois (dont Pô, une jeune hongkongaise très souriante), etc

J’ai été étonné de la présence de tant d’américains (ils connaissent le Chemin par le film « The way » avec Martin Sheen), brésiliens (ils ont lu « le pèlerin de Compostelle » de Paulo Coelho) et de coréens (une journaliste a « fait le Chemin » et en a parlé dans son pays, où 20 % de la population est chrétienne).

Parmi ces rencontres, je voudrais en citer deux plus marquantes que les autres:

  • Un jeune homme à vélo faisait une pause, et je l’ai interrogé sur sa nationalité (argentine) et les nombreux drapeaux sur le mât de son vélo, car il fait un périple autour du monde (Amérique du Sud, puis du Nord, Afrique du Sud, et Europe maintenant). En discutant, nous nous sommes aperçus qu’il s’était arrêté dans ma ville natale au Pérou. Et (hasard, signe ?), son prénom est Franco, le mien François…
  • J’ai aussi beaucoup discuté au début de mon voyage avec une jeune femme (Laura) arménienne, qui vit avec son mari (non marcheur) à San Francisco. Elle avait la même approche de la nature que moi, s’arrêtant pour humer une fleur, toucher la mousse, enserrer un arbre, etc. Mais nous nous sommes quittés à Burgos, car elle s’arrêtait un jour là, puis un nouveau à Leon. Mais à mon retour de Fisterra, en sortant de la cathédrale de Santiago, au milieu de la foule sur la place de l’Obradoiro, trois semaines après notre dernière rencontre, je la vois ! Nous nous sommes tombés dans les bras. Je n’ai qu’un regret, ne pas avoir pris ses coordonnées (bouteille à la mer: si vous la connaissez, dites-lui que j’aimerais bien rester en contact.. ).

Oui, les rencontres sont un des charmes majeurs du Chemin…

4 / Les paysages

Bien sûr, l’émerveillement vient aussi des paysages, des villes et des villages traversés. Chaque portion du Chemin recèle des endroits magnifiques et il serait vain de tous les nommer ici.

Sur le Camino Francès, ces sources d’émerveillement sont innombrables: parfois, ce sont des endroits très connus les villes de Burgos et Leon par exemple), des lieux propices à la réflexion et au lâcher-prise (j’ai adoré la Meseta et ses lignes infinies), ou simplement de jolis petits villages qui se dévoilent sous le soleil (Je suis tombé sous le charme de Molinaseca). Et que dire de Santiago, sa cathédrale, le Botafumeiro, du portique de la gloire, ou de l’arrivée au bord de l’Océan et de la plage de Fisterra … ?

Voilà juste quelques modestes clichés:

5 / Mes raisons

On me pose souvent la question: « Pourquoi pars-tu sur le (les) Chemin(s) de Saint Jacques ? ». Les raisons sont multiples et j’en ai parlé dans mon article précédent.

Mais il en est une supplémentaire qui est apparue au fil du temps: c’est de partir avec mon sac, uniquement mon sac, sans aucune aide extérieure. Se dire que l’on part x jours marcher, avec pour toutes possessions un sac avec quelques vêtements, une trousse de toilette, un carnet de voyage, un livre, deux doudous et deux chapelets est un sentiment étrange et très agréable. Finalement, pas besoin de plus de 7 kg pour vivre…

6 / Le vestibule des causes perdues

Pour finir, je voudrais revenir sur un ouvrage qui était dans ma « pile à lire » et dont j’avais parlé lors de mon premier texte. J’avais gardé précieusement « Le vestibule des causes perdues » (Manon Moreau) pour une occasion spéciale: le Camino Francès.

Et cela a été un pur bonheur de le lire dans le train (à l’aller et au retour) et un peu pendant le pèlerinage lui-même (le soir, je n’ai pas toujours trop de temps, et un pèlerin se couche tôt…). Ce livre conte l’histoire de plusieurs personnes, parties chacune de leur côté (de différents coins de France, voire pour un personnage de Hongrie) et qui vont se trouver ensemble sur le Chemin, chacun avec ses propres motivations. C’est une excellente description de ce qu’est le Chemin, son esprit, sa magie, ses rencontres…

Un conseil: lisez-le !!

Et comme toujours, je vous souhaite « Buen Camino » !

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17 commentaires

  1. karine.margueron@orange.fr'
    MARGUERON a dit :

    Merci pour ce beau récit qui donne envie de vivre toutes ces rencontres et ces émotions partagées.
    Peut être un jour pour moi dans qq années.

    1. lydia.didelot@wanadoo.fr'
      François Didelot a dit :

      Merci Karine de ce commentaire,
      Tu sais, tu n’as pas forcément besoin d’attendre et tu peux parcourir le Chemin par tronçons, ce que j’ai fait au début en marchant une dizaine de jours à chaque fois.
      Bon, c’est vrai, maintenant, je pars plus longtemps… Et c’est super !
      Bises

  2. sonia-poncet@orange.fr'

    « Le chemin n’est pas fait pour aller vite d’un point A à un point B, il est fait pour se perdre, et perdre du temps, ou prendre son temps, si l’on veut. » Extrait de « en avant route » de Alix de St André

    1. lydia.didelot@wanadoo.fr'
      François Didelot a dit :

      Sonia, c’est exactement çà…
      D’ailleurs « En avant route » est dans ma pile à lire !!

  3. […] Vous trouverez donc mon 2e article en suivant ce lien: « Le Chemin … Le retour ! » […]

  4. didsga8591@orange.fr'
    Didier SEGURA a dit :

    Voilà une belle façon de terminer ce voyage, poser sur le papier les différents aspects de ta motivation et les sentiments qui ont accompagné ce périple. Durant ton chemin, tu as partagé avec nous les paysages variés, les émotions et nous t’avons suivi à la trace jusqu’à Terra Finistera. Une façon pour nous de découvrir par procuration ce Chemin de Compostelle, alors Merci François pour ces bons moments et continues sur ta lancée …

    1. lydia.didelot@wanadoo.fr'
      François Didelot a dit :

      Merci beaucoup Didier !
      Initialement, je m’étais dit: « Tu as déjà écrit un article, çà suffit ». Mais à mon retour, et avec tout ce qui était arrivé, je ne pouvais pas ne pas écrire une suite…
      Merci

  5. mariepierrechiousse@gmail.com'
    Chiousse a dit :

    Tout simplement merci François pour ce beau partage.

    1. lydia.didelot@wanadoo.fr'
      François Didelot a dit :

      Merci Marie-Pierre,
      Avec plaisir

  6. leagimeno@gmail.com'

    Bonjour François merci beaucoup pour ce super article.
    Le chemin m’appelle depuis des années je ne sais pas pourquoi jai toujours ete attirée par Compostelle.
    Aujourd’hui la vie m’en offre peut etre la possibilité, mais je ne sais absolument pas comment commencer a organiser , d’où partir, combien de temps … avez vous des pistes pour m’aider ?
    Merci encore

  7. pierre.saout@wanadoo.fr'

    Merci, François, de ce beau témoignage personnel, où tu te livres en toute sincérité. J’ai été autant intéressé par le témoignage lui-même, puisque je te connais, que par son contenu. Car il dit beaucoup de ta personnalité et de la « belle personne » que tu es. Amitié. Pierre

    1. lydia.didelot@wanadoo.fr'
      François Didelot a dit :

      Merci beaucoup Pierre de ce gentil commentaire,
      Et merci pour le compliments.
      Amitiés
      François

  8. francefehr@shaw.ca'

    Quel bel article… la magie du Chemin existe vraiment. Et c’est peut-etre pour ca qu’on veut y retourner et pour les lecons de vie aussi. Le retour a la maison est parfois etrange ( pour nous apres 39 jours sur le Chemin du Puy en 2019). On veut simplifier la vie, se departir de ce que nous n’avons pas besoin et bien vite on refait des plans pour repartir sur le Camino (ce qui ne s’est pas encore produit mais on se « prepare » pour 2023). En attendant, je lis tous les livres que je trouve sur le Chemin et je regarde aussi des videos sur YouTube. C’est devenu ma nourriture et mon inspiration. Je comprends l’experience des pelerins et cela me fait patienter un peu. Merci pour ce beau texte, Francois. Est-ce par hasard que j’ai trouve ton article sur FB ? Une autre coincidence est que mon nom est France… (je suis nee au Quebec).

    1. lydia.didelot@wanadoo.fr'
      François Didelot a dit :

      Merci beaucoup France pour ce gentil commentaire.
      Oui, ce Chemin est magique et les hasards n’en sont pas (France – François 😉).
      Je ne pense aussi qu’à une chose: repartir !!
      Amicalement

  9. bnadomi@gmail.com'

    Bonjour François
    La lecture de ton article m’a immédiatement fait penser à un texte écrit à mon retour du chemin, dans le but d’alimenter un livre de pèlerins, qui n’a jamais vu le jour.
    Je me permets de le mettre ici, car je pense qu’il retrace bien ce que nous avons ressenti
    Merci encore et bons futurs chemins !!
    Dominique

    J’y suis !

    Bon sang, c’est pas possible, je vais me mettre à chialer, ou quoi ? ….

    Ça y est, j’y suis ! SANTIAGO , Saint-Jacques de Compostelle !! La cathédrale est là, devant moi. Je l’ai fait !!

    1.600 km , à pied, jamais je n’aurais pensé y arriver !

    Les émotions se mêlent : fierté d’avoir osé ce rêve, et réussi à le mener à bout…. étonnement de la facilité avec laquelle tout s’est déroulé : pas une ampoule, peu de douleurs……. souvenirs émus des rencontres, riches et surtout choisies durant ce périple de 3 mois…… confirmation de la beauté de la nature, pendant cette immersion totale de tous les instants….. mais aussi tristesse que ce soit terminé !! Heureusement, il me reste 5 jours jusqu’à Fisterra pour digérer et en profiter encore un peu !!

    Henri est interdit , il me voit tellement ému qu’il ose à peine me demander de le prendre en photo ! Bon, allez, Domi, secoue-toi un peu, tu ne vas pas rester là, comme un con, pendant une heure !!

    Je reprends mes esprits, la parole me revient, et je prends en photo Henri, fier comme Artaban devant la cathédrale ; Puis c’est lui qui me prend en photo, puis d’autres nous prennent tous les deux. Arrivent Eliane et Roger ! Embrassades, accolades, et tous au bar pour une bonne mais dernière bière !! On se sent privilégiés, sur notre petit nuage au milieu des touristes motorisés qui ne comprennent certainement pas ce qui nous arrive….

    Le lendemain matin, je reprends le chemin, sans Henri qui a pris le bus pour rentrer chez lui, à Bayonne. Je retrouve Eliane et Roger dans la matinée, attablés devant un copieux desayuno. Nous marcherons encore 5 jours, tranquilles, au milieu du parfum envoûtant des eucalyptus, et enfin, à la sortie d’un sous-bois, nous apparaît l’océan !! L’émotion me reprend (décidément, c’est la saison !). Je suis parti de chez moi, proche de la Méditerranée, et me voici au bout, à la fin de la terre, devant l’Océan !!
    Ce coup-ci, c’est bien fini, et le lendemain matin, ce sera les adieux, puis le retour.

    Je suis évidemment très heureux de retrouver ma femme, puis mes amis !!
    mais je mets un peu de temps à « atterrir » comme on dit, et je sens bien que je suis revenu différent.

    Alors, quand aujourd’hui, on me demande ce que j’ai ressenti, j’ai du mal à l’exprimer.

    Comment vous exprimer la naissance de ce projet, pourquoi ce voyage en Galice, en 2002, et la vue de quelques pèlerins cheminant a déclenché en moi cette envie ?

    Comment vous exprimer ce qui a motivé, beaucoup plus tard, ma décision de partir, et comment vous faire comprendre l’importance de l’accord de ma femme, qui me laisse vivre mon rêve ?

    Comment vous raconter les préparatifs, les interrogations, les questions, ridicules ou pas, que je poste sur internet, et auxquelles j’obtiens des réponses de pèlerins inconnus, mais déjà bienveillants ?
    Et ce sac à dos, comment vous expliquer l’avoir préparé, pesant chaque élément, retirant un à un, après moultes hésitations, cet objet que je croyais pourtant indispensable, mais qui pèse beaucoup trop !! et refaire inlassablement mon paquetage, la tête et l’esprit déjà en chemin…..

    Comment vous transmettre cette émotion à la découverte de ce superbe cadeau de mon fils au pied du sapin de Noël : « une semaine avec toi sur le chemin » !

    Encore difficile de vous faire ressentir ce bonheur, mêlé d’appréhension, le jour du départ, de chez moi, mon frère étant venu me souhaiter bonne route, et cette première journée de marche, sur des chemins que je parcours souvent, mais qui sont cette fois-ci les premiers kilomètres d’une aventure inconnue.

    Pas facile de vous expliquer cette rencontre inédite avec la Nature, du matin au soir dans des chemins isolés, sous la pluie comme en plein soleil ! Ah les premiers pas, le matin, avec la brume dans le fond des vallées ! Ah les forêts et leurs odeurs, d’humus ou d’eucalyptus (en Galice), les bruits des animaux que je dérange !! Ah le bruit des cloches de vaches ou d’églises ! Ah le bruit de la pluie et le floc-floc de mes chaussures !
    Ah le canal du midi ! Ah les Pyrénées ! Ah les grandes lignes droites de la Meseta ! Ah ! Ah ! ….

    Ceux qui ont déjà randonné comprendront cette bonne fatigue, ce rythme que donne la marche, cette satisfaction d’arriver en haut d’une côte, et de découvrir le panorama qui s’offre à nos yeux. Alors, quand cela dure plusieurs jours, plusieurs semaines, on entre dans une autre dimension : j’ai encore en mémoire les Pyrénées, avec la neige à leur sommet, qui m’apparaissent à Marciac, dans le Gers, et qui vont être mon point de mire pendant 9 jours et 180 km…. Chaque jour un peu plus proches, jusqu’à distinguer la vallée d’Aspe, puis y entrer, et enfin gravir le col du Somport, pour finalement atteindre le sommet et l’Espagne !! Cette impression de ne pas avancer, mais d’avancer quand même, cette fierté, en se retournant, de voir toute la vallée franchie ce matin.

    En parlant de fierté, il faut reconnaître que, même si je n’étais pas parti pour cela, j’étais fier de ce que je réalisais ! Beaucoup de mes amis n’auraient pas misé un centime sur le petit Domi, et les étapes importantes du chemin (Toulouse, l’Espagne, Burgos puis Santiago) ont toujours rimé avec un petit peu de fierté, ne le nions pas.

    Tout ce dont je vous ai parlé jusqu’ici serait valable pour n’importe quel « trek » en solitaire, dans n’importe quel endroit ; Je vais maintenant vous parler de ce qui fait la différence sur ce chemin de Compostelle : les rencontres !
    Parti seul, et même si j’ai passé les dix premiers jours sans rencontrer âme qui vive, ni la journée, ni le soir, le chemin est devenu par la suite un peu plus fréquenté, jusqu’à être carrément plein de monde une fois rejoint le « camino Francès » à Puente la Reina.
    Ce qui est important dans les rencontres, c’est avant tout qu’elles sont choisies : si tu veux être seul, tu restes seul ! Si tu as envie de discuter, eh bien, tu engages la conversation ! Si au bout d’un moment la personne ne t’intéresse pas, eh bien tu la laisses poliment « je te laisse, je veux prendre quelques photos », et voilà !! Pas plus compliqué !
    Et finalement les groupes se composent, on se trouve, se retrouve, etc … J’ai ainsi marché des Hauts-cantons de l’Hérault jusqu’à Toulouse avec Chantal et Bernard, puis traversé le Gers, avec mon fils mais aussi avec Bernard et Claude ; Ensuite je rencontre Evelyne et Jean-Marie à Oloron, pour marcher avec eux jusqu’à Puente la Reina. Puis Henri m’accompagnera de Burgos à Santiago, et Eliane et Roger sur la Méseta et de Santiago à Fisterra ; Avec toutes ces personnes on aura beaucoup rigolé, un peu picolé (vive la bière après l’effort !), et beaucoup discuté de sujets parfois profonds et inattendus. C’est la vraie richesse de ce chemin, sans compter les autres rencontres plus éphémères : Christophe l’allemand qui s’enregistre au dictaphone pour écrire un roman, Peter le Suisse qui égrène son chapelet tout en marchant, le couple de Japonais, elle marchant en tongs à cause de ses ampoules, et courant pour rattraper son mari ! … Mélanie, l’excentrique , qui embrasse les arbres dans la forêt !! … Bref que de bons souvenirs.

    Mais il est un pèlerin que j’ai rencontré et qui a beaucoup compté : il a cheminé avec moi pendant 83 jours ! J’ai donc eu le temps de bien parler avec lui, de le découvrir sur certains côtés que j’ignorais presque… Bien sûr, vous avez deviné, ce pèlerin c’est moi, qui ai eu le temps de me poser plein de questions, pas toujours faciles, du genre « est-il important de posséder, ou suffit-il de profiter ? » « finalement, est-ce que je suis croyant ? » … bref plein de questions auxquelles je n’ai pas forcément trouvé de réponses , mais qui m’ont évidemment fait grandir.

    Puisque je parle de religion, celle-ci est évidemment bien présente sur ce chemin, même si personne ne m’a jamais demandé si j’étais croyant (de même qu’on ne m’a jamais demandé pourquoi je m’étais mis en route). On ne peut l’ignorer, et les monuments présents, de la petite chapelle en montagne à la merveilleuse cathédrale de Burgos, nous le rappellent. J’entre souvent dans ces églises, et je me laisse prendre par l’ambiance de ces lieux, qui invitent à la réflexion, et qui très souvent sont de toute beauté. Certains moments furent pleins d’émotion, comme cet « Alleluyah » de Léonard Cohen chanté tous ensemble, à une trentaine, avec le curé, dans la petite église d’Hornillos del Camino !
    Et même si je ne me pense pas croyant, j’ai été impressionné, sur les longues lignes droites de la meseta, de voir marcher tous ces pèlerins, très nombreux par moment, vers cette même direction… et sans croire à la résurrection des corps, mon ami René, décédé, a très souvent cheminé à mes côtés.

    Beaucoup effectuent le chemin de Compostelle par petits bouts, d’une semaine ou deux, soit par choix, soit à cause de leurs impératifs professionnels ou familiaux. J’ai eu la chance de faire ce chemin en deux grands tronçons : deux mois de Montpellier à Burgos, puis un mois de Burgos à Santiago et Fisterra. Cette durée m’a permis de m’immerger dans ce que beaucoup appellent
    « l’esprit » du chemin : à savoir le calme et la bienveillance.
    Le calme d’abord, car même si quelques passages longent les routes, on est en général en pleine nature et donc dans le silence ….. Je n’aurai écouté de la musique que deux fois, tellement ce silence me plaisait. De plus, pas de télévision ! Donc pas toutes ces infos matérielles et anxiogènes, pas de donneurs de leçons, de « y’a qu’à, faut qu’on » et d’ailleurs aucune discussion politique dans les gîtes ! Qu’est-ce que ça fait du bien !
    Le positif, chez tous ces pèlerins qui, ne l’oublions pas, sont tous ici par souhait, et donc prennent tout avec un optimisme sans faille et un sourire, même dans les quelques galères traversées.
    La bienveillance ensuite : d’abord celle des autres pèlerins ; ce « buen camino !» chaque fois qu’on me double (et c’est souvent !!) . Puis chez tous ceux qui nous voient passer, et pour qui un sac à dos affublé d’une coquille amène spontanément un sourire ! Jamais on ne me refusera de remplir ma gourde, et au contraire, je repartirais souvent avec du pain, un croissant ou un saucisson !
    La bienveillance enfin de tous ces hébergeurs, qui nous accueillent à bras ouverts et sont toujours attentifs à nos besoins. Ne croyez pas tous ces reportages qui parlent de « commercialisation du chemin » !! Elle existe, car il faut bien vivre, mais n’a jamais constitué le moteur de tous ces hébergeurs.

    Vous l’avez maintenant compris : je suis revenu beaucoup plus calme, plus serein de ce périple.

    Et donc pour répondre à la question « alors, qu’as-tu ressenti ? », il m’aurait fallu une longue veillée, à monopoliser la parole, ce qui en aurait ennuyé plus d’un !… Il est bien plus facile de poser cette réponse sur le papier.

    Mais une chose est sûre ….. Je repartirai !

  10. tenchantal@gmail.com'

    Que de chemin parcouru… Ce ne sont pas seulement des kilomètres foulés à la force des pieds… C’est aussi un joli réveil, une attirance bienveillante vers l’essentiel.
    Bravo et merci François pour ce merveilleux partage !
    Bisous

    1. lydia.didelot@wanadoo.fr'
      François Didelot a dit :

      Merci Chantal pour ce gentil commentaire 😊😊
      Oui, il ne s’agit pas tant de kilomètres parcourus que de rencontres, de changement de rythme, de communion avec la nature…
      Bises

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